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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/859

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directement engagée, jusqu’à l’arrivée des troupes de ligne, contre les populations rurales, circonstance qui concourut à imprimer à la révolte le caractère anti-aristocratique signalé dans tout le cours de la correspondance du gouverneur. C’est d’ailleurs avec la plus grande réserve qu’il convient d’accepter sur ce point-là les assertions de M. de Chaulnes, courtisan habile et fonctionnaire assoupli. Le gouverneur de Bretagne faisait des efforts très peu généreux pour rejeter sur l’impopularité des nobles l’insurrection des campagnes, manifestement provoquée par l’excès des charges publiques. Il espérait, en attribuant la révolte à ce motif, écarter de l’esprit du roi la périlleuse pensée que des populations soumises à son gouvernement chancelaient dans leur obéissance. Il prit donc le plus grand soin pour établir que la cause principale des troubles se rencontrait dans les prétendus sévices exercés par la noblesse envers ses vassaux, compromettant vis-à-vis des populations les nobles dont il faisait ses auxiliaires, et profitant de cette compromission afin de les calomnier près du pouvoir. Les affirmations qui remplissent la correspondance échangée entre le duc de Chaulnes et Colbert, du mois de février au mois d’octobre 1675, sont, malgré une grande habileté de rédaction, plus spécieuses que fondées. Ce que le peuple armoricain poursuivait d’une haine implacable, c’étaient les maltôtiers, c’étaient surtout les gens des fermes, pour la plupart étrangers au pays, où ils représentaient le régime fiscal dont ces malheureux sentaient de plus en plus les étreintes[1]. Ce peuple ne tarda pas cependant, il faut bien le reconnaître, à passer de la haine des bourgeois enrichis à la haine des gentilshommes, et rien n’était plus naturel, puisque la fatalité des circonstances avait partout transformé ces derniers en auxiliaires d’un pouvoir universellement abhorré.

Dans le duché de Rohan, une bande de deux mille rustiques s’emparait de Pontivy, où elle brûlait le bureau du timbre et la maison d’un fermier des devoirs ; dans le comté de Poher, dont la ville de Carhaix était le chef-lieu, les paysans saccagèrent les châteaux, tous désertés par les propriétaires. Le Kergoat, grande demeure fortifiée, fut pris après une sorte de siège en règle et livré aux flammes avec un somptueux mobilier, dont les vingt communes voisines se virent condamnées l’année suivante à payer la valeur, fixée à la somme de 64,800 livres. Ces violences étaient encore dépassées sur le littoral de la Cornouailles, ancien théâtre des dévastations de Fontenelle, qu’ensanglantait alors une démagogie,

  1. « Ce qu’il y a de pire en ceci, c’est qu’il suffit à présent d’appeler un de ses ennemis particuliers maltôtier pour le faire assommer à l’instant par le peuple. » Lettre de M. de Guémadeuc, évêque de Saint-Malo, à Colbert, du 23 juillet. C’est le prélat obséquieux et léger, si justement qualifié par Mme de Sévigné du nom de linotte mitrée.