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« deviennent souples comme un gant, parce qu’on en pend et qu’on en roue chaque jour une quantité[1]. » De Guingamp, M. de Chaulnes se dirigea sur Carhaix, assisté de MM. De Forbin et de Vins, deux officiers provençaux dont Mme de Sévigné suivait les opérations militaires avec anxiété afin d’en adresser à Aix les tristes bulletins.

Dans ces landes de la Bretagne centrale, où les paysans avaient été déjà taillés en pièces sous la ligue, quelques milliers d’hommes osèrent, dans leur folle inexpérience, tenir tête aux soldats de Turenne et de Condé. Une décharge suffit pour couvrir la terre de cadavres, et à la rencontre du Tymeur le duc de Chaulnes triompha sans gloire, puisqu’il vainquit sans péril ; mais cette facile immolation, du champ de bataille n’arrêta point le cours de la justice., MM. de La Pinelaie et de La Perrine suivaient le gouverneur, et dans le vaste espace qui s’étend de Carhaix à Morlaix et des côtes du Léon à celles de la Cornouailles une forêt de potences s’éleva pour punir une population qui pouvait à bon droit présenter son ignorance comme une circonstance atténuante pour sa barbarie. Elle avait été plus crédule en effet que cruelle, et ses vertus avaient survécu à ses crimes[2]. On put s’en assurer à la manière dont elle accueillit l’expiation. Le trait vraiment caractéristique de la race armoricaine, c’est la facile résignation avec laquelle elle accepte les arrêts du sort, si rigoureux qu’ils puissent être. Le paysan breton reste impassible dans la souffrance comme, dans le péril : pour ce fataliste chrétien, ce qui est écrit est écrit. C’est ce trait original qu’a voulu peindre Mme de Sévigné dans un passage fameux dont on a plus d’une fois abusé contre la population bretonne et contre l’illustre femme demeurée si longtemps le seul historien de ses douleurs. Arrivée en Bretagne à la fin de septembre, au moment où la roue et la corde fonctionnent en Cornouailles et vont bientôt commencer à Rennes leur triste office, Mme de Sévigné apprend à la fois la rigueur des châtimens et la tranquillité d’âme avec laquelle ces malheureux s’y soumettent. « Nos pauvres Bretons s’attroupent quarante, cinquante par les champs, et dès qu’ils voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea culpa, c’est le seul mot de français qu’ils sachent, comme nos Français qui disaient qu’en Allemagne le seul mot de latin qu’on disait à la messe, c’était kyrie eleison. On ne laisse pas de les pendre ; ils demandent à boire, du tabac et qu’on les dépêche, et de Caron pas un mot[3]. »

  1. Lettre Mme de Carnabat du 24 septembre 1675, dans l’Histoire de Guingamp, t. III.
  2. Si l’insurrection de la Guienne profita aux galères de Toulon, celle de la Bretagne dota d’un large contingent les galères de Brest, Quelques années plus tard, plusieurs centaines de ces malheureux se firent remarquer par leur mâle courage lors de la descente des Anglais à Camaret. Voyez la Vie du père Maunoir, p. 374.
  3. Lettre datée de la Seilleraye, du 24 novembre 1675.