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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/867

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Les condamnés, qui ne marchandaient pas au bourreau une vie à laquelle la plupart d’entre eux ne tenaient guère, n’avaient à parler de Caron ni aux soldats du bailli de Forbin, ni aux exécuteurs du grand-prévôt. D’autres confidens étaient là pour les aider à franchir le sombre passage. Le père Maunoir avait obtenu du duc de Chaulnes, pour ses missionnaires et pour lui-même, l’autorisation de suivre la justice du roi à sa trace sanglante, et les mémoires d’après lesquels fut écrite sa vie constatent quelles abondantes consolations il recueillit dans l’accomplissement de ce ministère. « Ces malheureux, dit-son biographe, embrassaient pour la plupart la piété avec tant d’ardeur, qu’en les assistant à la mort les missionnaires pensaient à cette parole de David : On les tuait, et ils retournaient à Dieu[1]. »

Ce commentaire dispense de tout autre. Mme de Sévigné a joué de malheur pour les lettres écrites par elle durant les troubles de la Bretagne. Si sincère qu’y soit l’expression de sa pitié et de quelque courageuse réprobation qu’elle y flétrisse les actes d’un vieil ami, la liberté de ses allures a fait douter de la vérité de son émotion, et ses larmes ont séché sous le feu roulant de ses saillies. L’esprit est un écueil dangereux pour le cœur, et lorsqu’on sacrifié trop à l’un, on s’expose à voir quelquefois calomnier l’autre. Le cœur de Mme de Sévigné a donc été calomnié, il faudrait dire par sa faute, si elle avait jamais pu se défendre contre ces sortes de tentations. Il est d’ailleurs impossible de se méprendre sur ses véritables sentimens sitôt qu’elle se trouve en présence de ces tristes scènes. Si réservée qu’elle se fût montrée d’abord dans l’expression de son blâme, elle ne peut contenir son indignation lorsqu’elle voit le duc de Chaulnes, après sa rentrée à Rennes, se conduire en pleine paix comme un conquérant des temps barbares, et confondre sa vengeance personnelle avec l’intérêt de la vindicte publique. Aucune considération n’arrête alors la noble femme, et sa main légère cloue au pilori de l’histoire l’homme si étrangement présenté par Saint-Simon comme le modèle des gouverneurs et l’idole de ses administrés.

Dans les premiers jours d’octobre, M. de Chaumes, après un court séjour à Châteaulin, à Quimper et à Morlaix, quitta la Basse-Bretagne pacifiée et punie pour retourner à Rennes. Il marchait accompagné de trois régimens d’infanterie, de six compagnies de gardes-françaises, de trois compagnies de mousquetaires de la maison du roi, auxquels il avait joint un millier d’archers de la maréchaussée. A la tête d’une pareille armée, le gouverneur n’avait pas à craindre de voir les bourgeois de Rennes invoquer leurs vieux

  1. Vie du père Maunoir, p. 343.