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existence, fut de répudier toute solidarité dans les troubles qui venaient de désoler la province. L’assemblée prit en conséquence le 12 novembre une délibération dont le but est, comme on va le voir, d’écarter de l’esprit de Louis XIV la dangereuse pensée qu’on ait pu, dans le cours des troubles, mettre un seul moment son autorité en question, les états estimant plus sûr d’implorer la clémence royale pour des voleurs que pour des mécontens. « Les gens des trois états du pays et duché de Bretagne convoqués et assemblés par autorité du roi en la ville de Dinan, informés de quelques troubles, soulèvemens et séditions arrivés depuis peu dans quelques villes et paroisses de cette province, causés pour la plupart par des gens sans aveu ni biens, emportés plutôt par un esprit de pillage que de révolte, et dans la crainte que sa majesté en conçût quelque mauvaise impression contre le général de la province (qui n’est jamais sortie hors du respect, soumission, obéissance et fidélité dus à sa majesté), estimant qu’il leur est de la dernière importance d’en rendre leur témoignage à sa majesté par une députation prompte et solennelle, ont pour cet effet député, de l’église, Mgr de Saint-Malo, de la noblesse, M. le duc de Rohan, et du tiers M. Charette de La Gascherie, qu’ils ont priés de partir au plus tôt pour l’effet de ladite députation, dont ils attendront avec beaucoup d’impatience le succès ! »

Les dêputés en cour reçurent des instructions dont la rédaction timide s’explique par les difficultés du temps. Ni les droits de la province en matière d’impôts, ni les engagemens pris avec elle à la dernière tenue des états lors du rachat des édits n’y étaient rappelés en termes formels, et l’on se bornait à exprimer le vœu de voir la Bretagne contribuer à l’avenir aux charges publiques par des impôts d’une perception moins difficile que ceux du tabac, de l’étain, du papier timbré et des saisies immobilières. Le point sur lequel insista l’assemblée avec le plus d’énergie fut le rappel du parlement dans la ville de Rennes. L’éloignement de cette cour était en effet pour le pays tout entier une cause de désolation et de ruine, et les devoirs ayant déjà diminué de plus de 300,000 livres par suite de son transfert à Vannes. » L’assemblée crut devoir garder d’ailleurs un silence complet sur les exactions comme sur les châtimens infligés non pas seulement aux coupables juridiquement convaincus, mais à la généralité de la province. Elle prit en ces circonstances critiques attitude qui convenait à sa fortune. Si ce ne fut pas de l’héroïsme, ce fut de la prudence, car rien n’aurait été plus facile à Louis XIV, irrité et tout-puissant, que de supprimer les états de Bretagne pour placer cette province sous le régime ordinaire des généralités, ainsi qu’il l’avait déjà fait pour la