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Normandie. L’attitude réservée des trois ordres sauva probablement en 1675 les libertés bretonnes, qui, jusqu’à la fin du règne, s’éclipsèrent sans périr.

Après le départ de la députation, la tenue des états se prolongea durant un mois. On peut inférer du silence gardé par les procès-verbaux, ou que les députés ne virent pas Louis XIV, ou que la réponse royale ne parut pas de nature à être communiquée à l’assemblée. Le seul témoignage officiel de la pensée du gouvernement résulte des annotations placées selon l’usage en marge du cahier des remontrances, lorsque le roi répondit à ce cahier[1]. Ces annotations portent, en ce qui concerne les impôts, que « sa majesté a déjà fait connaître ses intentions sur cette matière, » et pour ce qui se rapporte au séjour du parlement à Vannes, que « le roi statuera sur cet article conformément à l’intérêt de son service. »

Aucun déboire ne fut épargné aux états durant cette tenue de Dinan. Tandis qu’ils prodiguaient à la couronne les témoignages de la plus respectueuse soumission, le châtiment infligé à la province revêtait des formes de plus en plus insultantes. Ce n’était pas d’ailleurs au duc de Chaumes, rentré par instinct comme par calcul dans son caractère modéré, que ce redoublement de rigueur pouvait alors être imputé. Il était du fait de M. de Louvois, qui avait trouvé commode de faire nourrir à discrétion durant l’hiver, par une province réputée rebelle, un nouveau corps de 10,000 hommes dont il n’aurait besoin sur le Rhin qu’au printemps. Ces soudards, s’installant donc dès le début sur le pied de guerre, vinrent au commencement de décembre s’abattre comme une volée de sauterelles sur la malheureuse Bretagne, « s’établissant, ma foi, comme en pays de conquête, dit Mme de Sévigné, malgré notre beau mariage avec Charles VIII et Louis XII… Il y a ici 10 à 12,000 hommes qui vivent comme s’ils étaient encore au-delà du Rhin ; nous sommes tous ruinés, mais nous goûtons l’unique bien des cœurs infortunés, nous ne sommes pas seuls misérables ; on dit qu’on est encore pis en Guienne[2]. » Chaque courrier porte en Provence des bulletins dont les témoignages contemporains ont confirmé l’exactitude, si monstrueux et si invraisemblables que soient pour nous de pareils faits. Ici ce sont des soldats qui « menacent d’égorger tout le monde, et ils le feraient comme ils le disent, n’était M. de Pommereu. Là ils enfoncent les portes pour voler, menacent d’incendier les maisons et finissent par mettre un petit enfant à la broche. » Quelquefois c’est Mme de Sévigné qui frissonne aux Rochers en

  1. Cette réponse est datée de Condé le 10 mai 1676.
  2. 22 décembre 1675, 5 janvier 1676.