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voit, elle ne rêve point une chimère en poursuivant la conquête de la nature vivante. L’homme a entre les mains les instrumens de sa puissance sur les êtres vivans. Il en acquiert chaque jour la preuve en voyant les actions toxiques et médicamenteuses si variées qu’il provoque dans l’organisme. La physiologie nous apprend que les poisons et les médicamens ne sont actifs que parce qu’ils pénètrent dans le sang, c’est-à-dire dans le milieu intérieur où vivent les élémens organiques[1]. D’un autre côté, la vitalité des élémens ne peut être modifiée qu’autant que la substance active produit autour d’eux des modifications physico-chimiques déterminées, d’où il suit que le problème du physiologiste consiste à connaître quelles sont les modifications physico-chimiques spéciales qui favorisent, troublent ou détruisent les propriétés des divers élémens histologiques ; mais, outre les actions immédiates produites par les agens modificateurs énergiques, poisons ou médicamens, le physiologiste peut encore exercer une action profonde et durable sur les organismes vivans en modifiant les élémens histologiques au moyen de la nutrition. On produit par la nutrition ou par la culture des modifications considérables et bien connues dans les organismes végétaux. On crée ainsi des variétés dans l’espèce, et même des espèces nouvelles. Chez les animaux il en est de même, et nous savons, par exemple, que la production de la sexualité et beaucoup d’autres modifications organiques importantes se réduisent à des questions d’alimentation et de nutrition embryonnaire. Les élémens histologiques ne suivent la tradition organique des êtres dont ils procèdent qu’autant qu’ils se trouvent placés dans des conditions convenables de nutrition. Une simple cellule animale ou végétale qui, dans certaines circonstances, peut rester indifférente prend un développement nouveau, si l’on vient à changer les conditions nutritives. En modifiant les milieux intérieurs nutritifs, et en prenant la matière organisée en quelque sorte à l’état naissant, on peut espérer changer sa direction évolutive et par conséquent son expression organique finale. En un mot, rien ne s’oppose à ce que nous puissions ainsi produire de nouvelles espèces organisées, de même que nous créons de nouvelles espèces minérales, c’est-à-dire que nous ferions apparaître des formes organisées qui existent virtuellement dans les lois organogéniques, mais que la nature n’a point encore réalisées.


IV.

Jusqu’à présent, toutes les actions modificatrices de l’homme sur l’organisation des êtres vivans sont encore très bornées, et ne

  1. Voyez, dans la Revue du 1er septembre 1864, le Curare.