Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/903

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Prusse et l’Allemagne, de confondre le point de vue prussien et le point de vue national. Depuis son origine, la Prusse est le bras de l’Allemagne ; elle est devenue avec le temps le vrai type de l’état moderne, deux gloires qui ne sont pas médiocres et prouvent assez clairement la mission historique dont elle se dit investie. Dès le temps où les Germains disputent aux Slaves les plaines de l’Elbe et de la Vistule, avant même d’être réunis en corps de peuple, les Prussiens opposent les premiers leur poitrine à l’effort des ennemis du nord. Leur rôle grandit encore au XVIe siècle : la Prusse occidentale joue contre Sigismond de Pologne le rôle des Pays-Bas contre Philippe II, et si les orgueilleuses espérances de ce prince sont brisées, si le joug catholique qu’il voulait imposer non-seulement à son pays natal, mais à la Suède, à la Moscovie, à l’Allemagne septentrionale, forteresse du protestantisme, est à jamais repoussé, c’est au futur état prussien qu’on le doit. Au siècle suivant, la mort seule dérobe à Frédéric-Guillaume la gloire d’être avec le prince d’Orange le rempart de l’Allemagne et de l’Europe contre Louis XIV. Quant à Frédéric II, il n’est pas seulement un grand homme, il est l’épée d’Israël ; il arrondit et foi’tifie le premier des états allemands, il affranchit l’Allemagne de la domination polonaise et soustrait au joug de l’étranger un million d’Allemands. S’il y a dans l’affaire quelque chose d’un peu insolite, son excuse est dans le bon sentiment qui l’animait : la première idée de ses plans de ce côté lui vint du désir de dédommager la Russie, obligée de renoncer à la proie qu’elle comptait saisir en Turquie ; rien assurément n’était plus juste. Toujours est-il qu’avec lui l’Allemagne commence à se sentir et frémit de joie en se voyant au nord sous la protection de la Prusse. Cette fonction d’avant-garde, ce rôle de bras libérateur, la Prusse en a été chargée dès l’origine, et n’a cessé de le remplir jusqu’à nos jours.

Ce n’est pas tout, la Prusse a, la première sur le continent, offert le type de l’état représentatif moderne, et c’est à Frédéric-Guillaume, fondateur de la grandeur prussienne, que revient l’honneur de l’avoir réalisé. Il est vrai que cette représentation ne réside ni dans les états, attachés au contraire à la défense obstinée des intérêts locaux, ni dans les classes supérieures, uniquement attentives à maintenir leurs privilèges, ni dans le peuple, qui n’est pas encore éveillé à la conscience politique. Où réside-t-elle donc ? Elle est « exclusivement dans la royauté et dans ses serviteurs, » en sorte que la Prusse représentative est en même temps une monarchie absolue. Ne riez pas, ne dites pas qu’à ce titre la France du XVIIe siècle est aussi un état représentatif, au sens où l’entendait Louis XIV. M. de Sybel parle sérieusement : l’idée créatrice de l’unité et le principe de la force nationale résident dans le roi, par conséquent il