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représente aussi bien le pays que le parlement d’Angleterre ou le congrès des États-Unis. Frédéric II a de plus le mérite particulier, d’avoir émancipé la politique en la dégageant des liens d’une église dominante ; il a constitué l’état laïque. A regarder la Prusse telle que ses rois l’ont faite à la veille de la révolution française, M. de Sybel trouve un peuple qui n’a ni garanties ni droits, mais qui s’en passe et n’est pas malheureux ; un reste de régime féodal qui se fait sentir d’un bout à l’autre du pays, mais tempéré par des institutions nationales, par une administration exacte et régulière ; une royauté absolue dont le caractère se révèle tantôt par les brutalités du père de Frédéric II, tantôt par l’arbitraire et le règne des favoris comme sous son fils, mais une royauté qui n’en est pas moins la fidèle dépositaire des intérêts de la patrie allemande. Avec cela, qu’a-t-on besoin de la révolution française ? On voit en quoi consiste ce que M. de Sybel appelle le point de vue national. La vraie politique, le véritable droit social, sont connus et pratiqués en Europe longtemps avant la révolution française. Où cela ? En Prusse. La révolution n’a été qu’un trouble-fête, elle a commis le crime d’arrêter pour soixante ans et plus, par la perturbation qu’elle a jetée dans le monde, le plein épanouissement de l’état moderne dont la Prusse offrait l’incomparable modèle !

Veut- on savoir maintenant quels sont, en fait de morale politique, les principes de l’historien ? Il suffit de voir comment il explique et justifie le partage de la Pologne. A part son importance propre, cet événement est d’autant plus curieux qu’il amène un rapprochement naturel entre les procédés de la politique monarchique et ceux de la politique populaire. La révolution française a le tort, très grave il est vrai, surtout aux yeux d’un homme comme M. de Sybel, d’avoir échoué, tandis que le complot des souverains du nord a réussi, que leur œuvre subsiste et paraît définitive. M. de Sybel parle tout couramment de l’anéantissement de la Pologne comme d’un fait sur lequel il n’y a pas à revenir. Cette différence de succès est chose à considérer sans doute, mais elle ne change rien au caractère de l’entreprise, ni à la moralité des mobiles qui en ont dirigé l’exécution.

M. de Sybel a eu beau s’étendre à satiété sur les négociations embrouillées par le mensonge et l’équivoque qui précédèrent l’exécution du complot tramé contre la Pologne, il n’a pu découvrir dans les pièces diplomatiques qu’il a interrogées une seule démarche qui n’ajoute à l’odieux de l’entreprise. On ne se rappelle pas assez ce qu’étaient les souverains qui, au moment même où ils la consommaient, se donnaient pour les libérateurs de la France et les champions du droit. Ce n’est pas la première fois qu’on en fait la remarque, on est en général trop porté à oublier que la politique