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royale a entassé plus de ruines, fait verser plus de larmes et porté plus d’atteintes à la justice, toujours sous les apparences de l’ordre social à maintenir, que les explosions populaires ; elle a l’art seulement de mettre dans son action un sang-froid meurtrier qui effraie moins que les emportemens désordonnés de la démocratie. L’œuvre méditée contre la Pologne s’accomplit sans bruit. Ce n’est pas le lieu de la raconter ici ; tout ce que je puis dire, c’est que, lorsqu’après quinze ans d’un recueillement salutaire la Pologne entreprit en 1788 de porter remède aux vices de la constitution qui avait préparé sa ruine, elle semblait entièrement renouvelée. On trouverait difficilement dans l’histoire un aussi remarquable exemple de patience, de modération, d’intégrité dans une assemblée délibérante, d’esprit politique et de patriotisme dans un peuple turbulent, comme aussi de lâche méchanceté dans un vieil oppresseur et de perfidie dans un soi-disant ami. Tandis que Catherine, en guerre avec la Turquie, ne peut s’opposer à ces réformes, le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II, encourage la diète à les accomplir. Il conclut avec elle en 1790 un traité d’alliance et de garantie réciproque, et pendant deux ans, soit par ses lettres, soit par l’intermédiaire de son agent à Varsovie, M. de Goltz, il la rassure et lui renouvelle ses protestations de loyale protection. Une année se passe, Catherine a conclu la paix de Jassy ; elle renoue aussitôt le fil de ses intrigues en Pologne, elle forme avec des traîtres la confédération de Targowitz « pour restaurer les libertés de la république, » et force le roi Stanislas à y entrer. La diète s’adresse au roi de Prusse pour réclamer de lui l’appui convenu ; celui-ci élude longtemps et finit par répondre qu’il n’a jamais songé à défendre une constitution adoptée sans son concours. Catherine a envahi les frontières de la Pologne depuis la Baltique jusqu’au Pont-Euxin, et se heurte contre la résistance inattendue de Poniatowski et de Kosciusko ; les Prussiens, qui viennent de faire la campagne de France, sont en pleine retraite ; le roi Frédéric-Guillaume se montre disposé à se séparer de la coalition, et laisse entendre dans l’entrevue de Verdun qu’il ne peut continuer la guerre, s’il n’est assuré d’une indemnité. On se comprend à demi-mot, et c’est aux dépens de la Pologne que se resserre l’alliance des souverains contre la révolution française. Ce qui suit n’offre plus qu’un dégoûtant mélange de perfidie et de brutalité. On vit en juin 1793 la Prusse et la Russie réunies faire voter à Grodno, par une diète formée de leurs partisans, sous la menace de l’emprisonnement, de l’exil et du canon, sous la pression de toutes les violences que les agens du despotisme sont si ingénieux à inventer, une cession de territoires déterminés par les envahisseurs eux-mêmes, avec la clause insultante d’une garantie des autres possessions de la république. On a dit, pour