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pas M. de Sybel, qui est doué d’une merveilleuse adresse pour faire des mots ce qu’il lui plaît, de reconnaître qu’après tout nous sommes libres à notre façon. « Il n’est pas moins évident que, si la liberté d’un peuple consiste à vivre selon les lois de sa nature, les efforts que fait la France pour se donner un gouvernement démocratique (c’est-à-dire, dans la langue de l’historien, libéral) sont en contradiction avec sa liberté, » de telle sorte qu’à supposer, comme le fait précisément M. de Sybel, la France destituée d’esprit politique et portée à aimer une centralisation écrasante, sa liberté consisterait à vivre dans la servitude. M. de Sybel aurait-il voulu essayer ici du persiflage ? Je ne puis croire qu’il ait eu un seul moment cette malheureuse prétention, et j’aime mieux prendre cette étrange pensée pour une simple naïveté. Toujours est-il que son livre atteste d’un bout à l’autre combien le fait actuel impose à son esprit, et combien l’accident le plus aisément explicable par mille causes passagères est prompt à se transformer sous sa plume en un argument irréfragable. M. de Sybel pense moins à la révolution qu’à la trop longue éclipse que subit la liberté en France, lorsqu’il prononce d’un ton si tranchant que celle-ci ne saurait y vivre. Il devrait bien expliquer, s’il en est ainsi, pourquoi dès le premier jour où la France, après des siècles de silence, trouve une voix et peut émettre un vœu, c’est pour réclamer la liberté, comment il se fait que tous ses efforts tendent à la conquérir, et que, lorsque cette liberté lui est temporairement ravie, elle ressent un malaise que rien ne peut tromper, et menace constamment de troubler le monde par ses agitations. Sans abuser contre l’auteur de démarches que je n’ai pas à juger, il me pardonnera de croire qu’avant de mettre ainsi de son autorité privée les autres au ban de la liberté, il faudrait regarder plus près de soi si elle n’a pas à souffrir d’amères humiliations ; il ne me saura pas mauvais gré de lui rappeler que la France a donné plus d’une leçon de liberté au monde et sonné plus d’une fois le réveil des peuples quand l’Allemagne dormait encore d’un profond sommeil.

Il n’y a guère d’homme qui ne considère sa race comme la première de toutes, car il y a toujours une certaine douceur à se figurer qu’on appartient à l’aristocratie de l’espèce humaine ; on sait à cet égard la modestie des Allemands, et nous sommes faits à leurs dédains. Cependant la prétention de s’arroger le privilège de la liberté et d’en exclure les peuples d’une autre race est un lieu commun auquel il serait temps, ce me semble, de renoncer. S’il est un fait évident aujourd’hui en Europe, c’est la tendance des sociétés cultivées à s’arranger sur le même plan, à réclamer les mêmes garanties, à chercher et à pratiquer la liberté sous les mêmes conditions. Est-ce à dire qu’il y ait quelque part un mécanisme fait