Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/925

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un bout à l’autre de la révolution ; M. de Sybel le découvre dans la déclaration des droits de Lafayette comme dans celle de Robespierre, dans la constitution girondine comme dans les discours des jacobins, à la convention comme à la commune. Il le reconnaît dans la théorie des impôts de la constituante aussi bien que dans les mesures économiques des assemblées qui la suivent. Il en découvre un commencement de réalisation en 1790 dans les provinces du Bourbonnais, du Berry, du Nivernais, dans ces contrées qui avaient donné le branle au mouvement politique en 1789, « comme elles ont commencé la jacquerie en 1851 ! »

Il serait vraiment curieux de savoir dans quelles archives M. de Sybel a puisé ce dernier trait. Sans m’arrêter à cette question, peut-être indiscrète, je cherche comment il parvient à établir sa théorie si nouvelle de la révolution. Rien de plus simple : premièrement, il transforme les mesures particulières ou transitoires en mesures générales et définitives ; en second lieu, il cherche l’esprit de la révolution, non dans les actes publics où il se manifeste officiellement, mais dans des opinions individuelles, dans des systèmes particuliers que la révolution a désavoués et combattus. Avec ces deux procédés, quel est le gouvernement, je ne dis pas l’époque de révolution, qu’on ne puisse charger des plus grandes extravagances ? Ce fut peut-être une faute de ne pas laisser le clergé former par l’étendue des biens qu’il possédait un état dans l’état et de le réduire au rang des fonctionnaires publics en le salariant ; c’en fut une aussi peut-être de priver d’une partie de leur fortune ceux que la peur chassait de la France ou que leurs opinions armaient contre elle. Personne n’ignore non plus ce qu’on peut dire contre ces mesures d’un autre ordre, vente forcée au détail, réquisitions, émission illimitée des assignats, maximum, qui nous paraissent aujourd’hui avec raison aussi contraires à la liberté qu’aux vrais principes de l’économie sociale. Ce que l’on ne contestera point, c’est qu’il y ait une grossière altération de l’histoire à rattacher ces faits à un plan soutenu de spoliation, dont la guerre, éternisée à dessein, devait aider l’exécution. Toutes ces mesures furent dictées par le sentiment juste ou erroné d’une nécessité impérieuse, et pour parer à des périls passagers. Ah ! sans doute, il vaut mieux rester, jusqu’au sein du plus mortel danger, fidèle aux invariables règles du droit et périr plutôt que de les violer, encore que l’âme la plus haute se trouble et tremble à l’approche de certaines catastrophes. « Qu’il y ait pour les états des crises plus fortes que les remèdes ordinaires, dont l’application serait impossible ou dangereuse ; qu’à ces époques fatales les gouvernemens puissent et doivent s’élever au-dessus des lois, frapper ; s’il en est besoin, ceux qu’elles épargnent,