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était dépourvue de sens moral[1]. » Je vois très bien que Mme Roland a le tort, qui est de plus aux yeux de M. de Sybel un ridicule, d’être femme et de prendre intérêt à la politique, je vois qu’elle a le tort tout autrement sérieux d’avoir embrassé avec ardeur une cause que M. de Sybel n’aime point ; mais si la pureté d’une conduite irréprochable, la résistance aux entraînemens de l’amour le plus vif qu’ait jamais ressenti une âme passionnée, le noble attachement aux plus grandes idées qui puissent faire battre le cœur humain, si tout ce que les hommes admirent, la lutte intrépide contre ceux qui peuvent tuer, l’égalité d’âme dans le malheur, le calme, la dignité, le sourire jusque sur les marches de l’échafaud, si tout cela est étranger au sens moral, nous voudrions bien que M. de Sybel nous eût fait la grâce de nous dire de quel nom ces choses-là s’appellent.

M. de Sybel, d’ordinaire assez difficile à émouvoir et fort dédaigneux du pathétique, le prodigue cependant à propos de certaines infortunes. Il reproche amèrement à Mme Roland de s’être échappée à dire, un jour que quelqu’un s’apitoyait en sa présence sur la reine et le dauphin, qu’il s’agissait d’autre chose dans la révolution que du sort d’une femme et d’un enfant. Elle eut tort ; nous déclarons, quant à nous, que nulle victime n’est exclue de notre pitié, et que nous y faisons la plus grande part à celles qui sont tombées de plus haut. Ce n’est pas toutefois une raison pour nous d’accueillir sans examen les fables et, qu’on me passe le mot, les fictions niaises inventées à leur sujet. M. de Sybel consacre aux derniers jours du dauphin des pages larmoyantes dont la longueur n’est nullement en proportion du reste ; il n’en ignore aucun détail, il n’en omet aucune circonstance, et parmi ces circonstances il en est plusieurs de réellement étonnantes et qui tiennent presque du miracle. Toutes les paroles de l’enfant sont marquées d’une sagesse au-dessus de son âge qui confond ses gardiens ; il a des visions, il converse avec les anges, il entend une musique céleste, sa mère l’appelle du fond du paradis, et il lui répond[2]. Où M. de Sybel a-t-il trouvé de telles choses ? Quelle découverte inattendue l’a mis en possession de ces détails sur un événement qui était jusqu’ici le plus énigmatique de la révolution française, et dont des témoignages contradictoires, recueillis quarante ans après et dépourvus de tout caractère authentique, n’avaient point suffi à dissiper l’obscurité ? Pourquoi M. de Sybel ne cite-t-il pas ses documens, n’en donne-t-il pas même le titre ? Pourquoi ? C’est que, sans en dire un mot, il a tout

  1. Ohne Gefühl für das sittllich Zulässige, t. Ier, p. 295.
  2. Tome III, p. 450-456.