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pris dans un de ces livres[1] qu’on dispense de toute critique, parce qu’ils ne relèvent pas de la science, parce qu’ils procèdent uniquement de la religion des souvenirs, parce qu’ils ne sont écrits que pour flatter les regrets d’un parti depuis longtemps en travail de légende et que rien n’oblige à examiner les preuves. M. de Sybel avait d’autres devoirs, puisqu’il affecte une autre ambition. De pareils procédés frappent l’histoire de nullité. Effort sans résultat, recherches vaines, talent perdu, voilà ce qu’il y aurait eu à dire de l’ouvrage de M. de Sybel, si par l’affectation d’une méthode sévère, le fracas de prétendues découvertes, un air d’impartialité qui couvre un parti pris de dénigrement, il n’eût exigé un examen plus attentif. Jamais, sous la forme d’un sang-froid apparent, réquisitoire plus acerbe ne fut prononcé, non pas contre la révolution, mais contre la France elle-même et contre son esprit. On dirait que le patriotisme prussien de l’auteur n’a conscience de lui-même qu’en se confondant avec la haine de la France. Un tel livre ne saurait ajouter que des passions aux passions et des nuages aux nuages.

Nous sommes trop prompts en France à renier soit par un goût d’impartialité, soit par une dangereuse complaisance pour l’étranger, qui en abuse, les meilleures parties de nos traditions. Qui n’a quelque reproche de cette espèce à se faire ? Je n’ai pas craint de résister à cette pente. Quoiqu’un vent nouveau souffle depuis quelques jours sur la France, il n’y a pas à redouter ni qu’il emporte ce que la révolution a laissé de vrai dans les institutions et dans les esprits, ni qu’il la ramène avec ses violences et ses fureurs. On parle encore beaucoup de révolution et d’esprit révolutionnaire en Europe ; il faut bien que ce dernier nom ait un sens pour qu’on l’emploie. Pour les uns, il signifie je ne sais quel esprit infernal de destruction universelle sans raison et sans terme, quel amour de la violence pour elle-même et des procédés qui furent, il y a quatre-vingts ans, les convulsions passagères d’une société en métamorphose. Les autres n’y voient que l’esprit de réforme dans le sens de la liberté opposé à l’esprit de conservation aveugle ou de restauration dans le sens du moyen âge. Ces qualifications, équivoques ou fausses, dont ceux-ci se parent comme d’un titre, tandis que ceux-là les appliquent comme une condamnation, ont fait jusqu’à cette heure bien du mal. Le jour où l’on y renoncerait pour jamais serait peut-être marqué par un retour d’équité, de raison, d’intelligence, de sang-froid dans la politique. Il ne doit plus y avoir de révolutionnaires, puisqu’il ne saurait plus y avoir dans les nations civilisées de révolution au sens où l’on entend celle de 89. Le

  1. Louis XVII, sa vie, son agonie, etc., 2 vol. in-8o, par M. A. de Beauchesne.