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gratuitement à la nation par des propriétaires isolés. Ne se trouvant pas suffisamment payés par les titres honorifiques et les décorations dont le pouvoir est si prodigue au Brésil, les planteurs ne se montrent guère empressés à faire largesse de leur propriété vivante, et, pour obtenir le contingent nécessaire, le gouvernement doit s’adresser à des entrepreneurs qui vont acheter sur les plantations des chiourmes d’esclaves, bientôt après changées en régimens de patriotes[1]. Une autre couche de la population que les ministres brésiliens ont cru devoir employer dans la guerre contre le Paraguay est celle des criminels. Non-seulement dom Pedro, par un décret du 16 octobre 1866, a suspendu jusqu’à la fin de la lutte les décisions de tous les conseils de guerre, afin de ne se priver des services d’aucun militaire accusé de crime ou de malversation, non-seulement il a gracié en masse tous les déserteurs, à la condition qu’ils rentrassent dans les rangs de l’armée, il a aussi jugé convenable de transformer en défenseurs de la patrie plusieurs centaines des galériens de l’île de Fernando de Noronha, qui pour la plupart étaient accusés d’assassinat ou de tentative de meurtre[2]. Ce n’est pas tout : quoi qu’en disent les feuilles officielles, des multitudes de captifs paraguayens ont été enrôlés de force dans l’armée qui envahit le sol de leur pays. la preuve péremptoire de ce fait se trouve dans le rapport du ministre Paranagua, d’après lequel le nombre de tous les prisonniers de guerre retenus dans l’empire est seulement de 719, et pourtant, depuis la reddition de l’Uruguayana, où plus de 1,800 hommes tombèrent aux mains des Brésiliens, les alternatives de la guerre leur ont encore livré plusieurs milliers d’ennemis. C’est principalement à Tuyuti que ces malheureux captifs font leur service forcé dans les rangs des alliés.

Grâce à tous ces moyens, de moralité plus que douteuse, qui doivent avoir pour résultat d’introduire dans l’armée des élémens d’indiscipline et de dissolution, les pertes subies par les forces brésiliennes furent largement compensées pendant les huit mois qui suivirent le désastre de Curupaity : l’effectif des renforts expédiés successivement au marquis de Caxias atteignit le total de 17,250 combattans. Quant au gouvernement argentin, il se contenta de renvoyer au camp de Tuyuti les 4,000 hommes qui venaient d’accomplir leur promenade militaire contre les insurgés de

  1. Le Correio Mercantil de Rio-de-Janeiro renferme à cet égard les plus curieuses révélations. Voyez surtout les numéros du 15 et du 25 octobre et celui du 5 novembre 1867. Le prix moyen de chaque esclave acheté par le gouvernement est de 3,780 francs.
  2. D’après le Standard and River Plate News du 30 Janvier 1867, le nombre des criminels graciés était à cette époque de 993.