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Cordova ; à ces vétérans de la guerre on adjoignit seulement 400 criminels tirés des prisons de Buenos-Ayres, car, suivant l’aveu candide du gouverneur Alsina, dans son message du 23 mai 1867, ce mode de recrutement apporte beaucoup moins de trouble dans la société que ne le ferait le départ de la garde nationale. Vers le milieu du mois de juillet, plus de 40,000 hommes étaient campés dans les forêts et dans les marécages du Paraguay, à 3,000 kilomètres de navigation de Rio-de-Janeiro. En outre les navires cuirassés et de nombreux vapeurs non blindés avaient renforcé la flotte ; d’énormes, quantités de munitions et d’approvisionnemens étaient empilées dans les entrepôts de Corrientes et d’Itapirù. Ce dernier village a surgi dans l’espace de quelques mois, à une faible distance de l’ancien fortin du même nom. Parfois des multitudes d’embarcations et de transports réunis dans cette partie du Parana donnent à la rade qui s’étend devant Itapirù plus d’animation que n’en offre même l’estuaire de la Plata au large de Buenos-Ayres.

La réorganisation de l’armée étant aussi complète que possible, il fallait enfin se résoudre à satisfaire la nation brésilienne, qui demandait à grands cris quelque haut fait de guerre en échange de tous ses sacrifices d’hommes et d’argent. Le marquis de Caxias, après s’être concerté par dépêches avec le président Mitre, décida que le gros de l’armée abandonnerait le campement de Tuyuti pour tâcher de prendre à revers la place d’Humayta et d’en finir avec l’obstiné maréchal Lopez, soit en attaquant à l’improviste ses lignes sur quelque point mal gardé, soit en coupant ses communications avec l’intérieur du Paraguay et en le réduisant par la famine. Si l’ennemi, craignant d’être enfermé dans ses retranchemens, les abandonnait de lui-même, alors on se promettait de l’exterminer en bataille rangée. Tel était le plan de guerre auquel la flotte de l’amiral Ignazio devait coopérer, en essayant de remonter le fleuve au-delà des forteresses paraguayennes.

Le 22 juillet, après avoir fait exécuter de nombreuses reconnaissances, non-seulement par les éclaireurs ordinaires, mais aussi par des aéronautes en ballon captif, le général brésilien donna l’ordre, depuis longtemps attendu, de procéder au changement de base. Environ 12,000 hommes, sous les ordres du baron de Porto-Alegre, restaient au camp de Tuyuti pour maintenir les communications de l’armée avec le fleuve et les 2,000 soldats de la garnison d’Itapirù, tandis que le gros des troupes, comprenant plus de 25,000 combattans, allait s’aventurer loin des bords du Parana, dans les solitudes inconnues qui s’étendent à l’orient d’Humayta. Une marche de flanc, même entreprise par des forces bien supérieures en nombre à celles qui pourraient les assaillir, est toujours