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une sorte de domaine privé du général Urquiza, le continuel tournoiement des partis a pour conséquence un incessant va-et-vient dans le personnel de l’administration. Depuis la bataille de Pavon, en septembre 1861, vingt-deux gouverneurs, sur lesquels dix-huit généraux et quatre avocats, se sont succédé dans la province de Mendoza ; dans le Catamarca, la rotation des places est bien plus rapide encore, puisque le nombre des gouverneurs a été de dix-neuf en une seule année. A Buenos-Ayres même, le ministère du président Mitre s’est modifié diverses fois, suivant les oscillations de la politique, la pression plus ou moins forte exercée par le cabinet de Rio-de-Janeiro et les alternatives des rivalités personnelles. L’approche des élections pour la présidence de la république surexcite les ambitions opposées, et les partisans d’Alsina, de Sarmiento, d’Urquiza, de Rawson, s’attaquent et s’injurient réciproquement dans leur zèle de propagande électorale. Ce qui augmente encore la confusion, c’est que la ville de Buenos-Ayres est toujours le siège de trois administrations souveraines, celles du municipe, de la province et de la république. D’après la loi, c’est précisément cette année que Buenos-Ayres a cessé d’être la capitale provisoire de la Plata ; mais, le congrès s’étant séparé avant de s’être entendu sur le choix d’une nouvelle cité fédérale, il devra demander la permission à la ville de tenir sa prochaine session dans l’ancien palais. Les villes de province qui subissent avec impatience la suprématie des Porteños, ou qui espèrent pour elles-mêmes le titre de capitale, menacent de refuser obéissance à ce congrès qui n’a pas même de domicile légal, et que la ville de Buenos-Ayres aurait strictement le droit d’expulser hors de ses murs.

Quelle que soit pourtant la singulière instabilité des choses dans la république argentine, les avantages de la liberté sont tels que le pays n’en progresse pas moins d’une manière très rapide. Des écoles s’ouvrent dans toutes les villes et dans les villages des pampas, on fonde en divers endroits des collèges supérieurs et des bibliothèques publiques ; les journaux deviennent de plus en plus nombreux, l’amour de la lecture se répand. La foule des immigrans ne cesse de s’accroître malgré la guerre, et cette année le chiffre de 12,000 individus, représentant un centième de la population totale, sera certainement dépassé. Italiens, Basques espagnols et français, Irlandais, Anglo-Saxons, Américains du Nord ; tous apportent leur industrie et contribuent pour leur part à la prospérité du pays : ils défrichent les solitudes, apportent des procédés de culture, fondent des établissemens industriels, et travaillent, même sains le vouloir, à civiliser leurs nouveaux concitoyens : c’est ainsi que, grâce à eux, la législature de Santa-Fé vient d’adopter une loi