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sont de fait rejetés en dehors de la loi : quelques paroles tombées du trône, un projet du conseil d’état qui renverrait le décret d’émancipation à la première année du XXe siècle, tels sont les seuls motifs qui permettent aux Africains asservis d’espérer leur libération ; d’ailleurs, dans les discussions qui ont eu lieu à ce sujet, les ministres ont donné aux sénateurs et aux députés l’assurance formelle qu’on se garderait bien de porter la moindre atteinte à leur propriété vivante tant que le pays se trouverait dans ses embarras financiers et politiques. C’est renvoyer la solution de la question à un avenir bien éloigné ; mais les esclaves attendront-ils aussi patiemment que les ministres, et les maux engendrés par la servitude cesseront-ils comme par miracle de ronger le corps social pendant le long délai qu’impose l’aristocratie des planteurs à l’avènement du droit ? Cela n’est point probable, et, sans crainte de se tromper, on peut affirmer d’avance que de gré ou de force les ilotes du Brésil se placeront bientôt comme citoyens à côté de leurs anciens maîtres. Les propriétaires ligués pour la conservation de leurs esclaves s’écrient avec effroi que l’empire ne peut manquer de succomber avec la servitude, et leurs craintes ne sont point sans fondement. A chaque état social correspond une forme politique particulière. Dans le Brésil et à Cuba, les deux seules contrées de l’Amérique latine où prévalent encore les institutions monarchiques importées du vieux monde, ces institutions se trouvent associées à l’esclavage, et ce n’est point là un pur hasard. Par un contraste des plus frappans, l’émancipation des noirs est devenue dans toutes les républiques espagnoles le complément indispensable de la révolution politique inaugurée en 1810. Est-il donc contraire aux lois historiques de penser que l’affranchissement des travailleurs encore asservis du ; Brésil, uni aux conséquences de la guerre du Paraguay, portera un coup fatal à la forme, actuelle du gouvernement.


ELISEE RECLUS.