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On voit dans quelle périlleuse situation se trouvent les finances du Brésil, et cependant l’attitude politique du gouvernement rend une amélioration des choses tout à fait impossible. Quand même le marquis de Caxias réussirait à s’emparer d’Humayta, quand même il entrerait victorieusement à l’Assomption, l’empire serait toujours obligé de maintenir une forte armée dans le Paraguay et dans les républiques de la Plata, sous peine de perdre en un jour le fruit de toutes ses conquêtes. Ce ne sont pas seulement les descendans des Guaranis, ce sont aussi les Argentins et les Orientaux que les Brésiliens auraient à comprimer par la force, et cette tâche ardue ne saurait manquer tôt ou tard d’épuiser complètement la nation. Le cabinet de Saint-Christophe n’ignore point que la haine traditionnelle des Platéens contre leurs voisins d’origine portugaise s’est accrue pendant la guerre, il sait que la presse presque tout entière fait des vœux pour le succès des « frères » paraguayens, et que les chambres ont voté des fonds pour acheter des navires cuirassés qui pourront au besoin servir contre le Brésil. Chose bien plus grave encore, les représentans de la république argentine ont décida qu’une somme de 2 millions de francs serait employée à fortifier la petite île de Martin-Garcia, qui commande à la fois les deux embouchures du Parana et de l’Uruguay. Après s’être épuisés pendant plus de deux années contre les remparts imprenables, de la forteresse paraguayenne, dans le vain espoir de débloquer l’entrée militaire du Paraguay et du Haut-Parana, les Brésiliens verraient donc s’élever dans l’estuaire même de la Plata un autre Humayta qui leur interdirait à jamais l’entrée des eaux de l’intérieur. Ce funeste traité qui associait deux républiques à l’empire pour la conquête d’une autre république n’a réussi qu’à brouiller les alliés et à préparer entre eux une lutte future ; déjà même on se demande si les Brésiliens, dans le ressentiment causé par leur insuccès contre Humayta, ne se retourneront pas contre Buenos-Ayres. Ainsi la guerre, sortirait de la guerre ; comme dans le drame antique, le crime enfanterait le crime.

Et pourtant les immenses difficultés extérieures contre lesquelles se débat l’empire doivent être considérées comme peu de chose en comparaison des malheurs qui le menacent tant que subsistera l’esclavage, et qui ne manqueront pas de l’étreindre un jour. Selon M. Pompeu, le principal statisticien du Brésil, les noirs asservis sont au nombre de plus de 1,780,000, près du cinquième de la population ; ils sont ainsi relativement plus nombreux que les esclaves des États-Unis avant la terrible guerre qui s’est terminée par le triomphe de la liberté. Quoi qu’on en dise, aucune mesure n’a encore été prise pour hâter l’affranchissement de ces hommes, qui