tion de l’Allemagne. Il dénonça ouvertement la guerre à la tragédie française et aux admirations superstitieuses dont elle était l’objet. S’il a porté dans cette campagne un acharnement souvent déraisonnable et comme une vivacité d’injustice qui sent le parti-pris, qu’on veuille bien considérer qu’il avait quelque sujet d’être en colère. L’Allemagne avait un grand homme, qui fondait sa gloire militaire et politique, et ce grand homme ne parlait que français, n’écrivait qu’en français, ne s’entourait que de Français. Avait-il une place à donner, il préférait Pernéty à l’auteur du Laocoon. Comme Frédéric, toutes les petites cours et les aristocraties francisées de l’Allemagne reniaient superbement et leur peuple et leur langue. « Nos grands, disait Lessing, font leur pâture quotidienne des plus méchans romans français ; ils attendront, pour lire l’Agathon de Wieland, d’avoir appris l’allemand. » La partialité, l’exagération, sont nécessaires à qui veut frapper de grands coups. Si Lessing n’eût passionné le débat, s’il se fût contenté d’avoir raison, il aurait persuadé quelques esprits délicats ; mais eût-il gagné son procès devant le grand tribunal qu’il aspirait à convertir ? Il prétendait insurger toute l’Allemagne lettrée contre l’invasion et la dictature étrangères, lui faire brûler ce qu’elle adorait, tourner ses regards vers de nouveaux horizons, la convaincre qu’elle avait le droit de s’appartenir à elle-même, et de ne s’inspirer que de ses propres traditions et de son propre génie. Dans ce dessein, il entreprit de lui démontrer que les dieux de l’olympe français n’étaient que de menteuses idoles, que le grand Corneille serait mieux appelé Corneille le boursouflé, Corneille le monstrueux, que Racine était un admirable poète, qui avait eu le tort de donner ses ingénieux dialogues pour des tragédies, que si les Allemands n’avaient pas de théâtre, la France était moins bien partagée encore, puisqu’elle se flattait faussement d’en avoir un : fière de ses richesses fictives, elle se condamnait à une éternelle indigence.
Quand Lessing se rendit en 1766 à Hambourg, où l’on se proposait de fonder pour la première fois en Allemagne un théâtre permanent, il se chargea de publier le compte-rendu des représentations, en y joignant des jugemens raisonnés sur le répertoire. Il dut bientôt renoncer à s’occuper des acteurs, dont le susceptible amour-propre se gendarmait contre ses leçons, et il se renferma dans l’analyse et la critique des pièces. C’est le recueil de ces articles critiques qui a formé ce qu’on appelle la Dramaturgie de Hambourg, et c’est là qu’il faut chercher ce que Lessing pensait ou se donnait l’air de penser du théâtre français. La Dramaturgie passe en Allemagne pour un chef-d’œuvre, et les Allemands seraient bien ingrats, s’ils en jugeaient autrement. Ce livre les a sauvés de la tragédie classique, dans laquelle ils n’auraient jamais