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et forcé d’avouer que le pape avait encore trop tardé à élever la voix contre cet amas de forfaits et d’attentats. » Pie VII n’était pas encore décidé. — « Mais vous, que feriez-vous? — Moi, saint-père, après la menace faite d’un aussi grand acte à nos ennemis, qui le redoutent, après l’espérance donnée à votre peuple, qui le désire et qui l’attend, je l’exécuterais; mais la demande de votre sainteté m’agite et m’inquiète. Très saint-père, élevez vos yeux au ciel, puis donnez-moi vos ordres, et soyez sûr que ce qui sortira de votre bouche sera la volonté de Dieu. » Pie VII se recueillit un instant; puis, après une courte pause : « Eh bien! dit-il, donnez cours à la bulle; mais, s’écria-t-il aussitôt, qu’ils prennent bien garde, ceux qui exécuteront vos ordres; surtout qu’ils ne soient pas découverts, car ils seraient fusillés, et j’en serais inconsolable. » « Peu d’heures après, ajoute le cardinal Pacca, la bulle d’excommunication était en effet affichée avec un succès prodigieux, car, bien qu’apposée en plein jour aux lieux accoutumés, c’est-à-dire sur les murs de Saint-Pierre, de Sainte-Marie-Majeure et de Saint-Jean-de-Latran, pas un des hommes qui la placardèrent pendant le temps même des vêpres, presque à la vue des fidèles, ne fut saisi ni même découvert par la consulte extraordinaire. La publication de la bulle, continue toujours le ministre du saint-siège, plongea les Français dans la stupeur, et excita dans toute la ville de Rome un enthousiasme extraordinaire[1]. »

Sans croire absolument avec le cardinal Pacca que la publication de la bulle d’excommunication, sur laquelle nous aurons plus tard à revenir, ait causé dans la ville de Rome un si grand enthousiasme ni plongé la consulte extraordinaire dans une si profonde stupeur, il est impossible de se dissimuler qu’elle jetait dans une situation déjà si troublée par elle-même un surcroît de complications. Que fallait-il faire? Qu’attendait Napoléon? Était-ce son intention qu’en raison de cette bulle d’excommunication, aussi vite enlevée que produite, mais qui n’en avait pas moins fait son apparition publique à Rome, on mit la main sur le saint-père? Voilà ce que se demandaient avec anxiété le général Miollis, Salicetti et sans doute aussi, quoiqu’il ne fût pas de sa personne sur les lieux, le roi Joachim Murat. Napoléon a toujours dit, il a écrit dans ses mémoires, il a répété plusieurs fois à M. de Las Cazes, dans ses conversations à Sainte-Hélène, qu’il n’avait jamais donné l’ordre d’arrêter le pape. Lorsqu’il émettait cette prodigieuse assertion, Napoléon Ier ne se doutait pas que sa correspondance serait plus tard officiellement publiée par Napoléon III. De Schœnbrunn, où il résidait

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier , p. 113.