Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle serait restée femme avant tout, elle eût gardé ce je ne sais quoi de naturel et d’humain qui relève tout en mettant la sincérité partout. C’est évidemment la vanité qui l’avait poussée dans cette aventure, c’est le désir de paraître et de briller qui l’avait jetée à la poursuite de ce titre envié de la maîtresse du roi, et c’est ce qui fait que son long règne n’a même pas un éclair, qu’elle n’a été qu’une favorite de plus marquant une étape nouvelle dans l’histoire des galanteries royales, caractérisant avec son élégance ambrée et musquée, au fond assez vulgaire, le passage des grandes dames maîtresses, comme une Montespan ou une Châteauroux, à la franche courtisane, comme la Dubarry. Louis XV, cet apathique voluptueux, avait pu faire de la fille des Poisson, de la petite souveraine d’Etioles, une marquise de Pompadour; il put lui donner un rang à la cour et l’appartement des Penthièvre à Versailles; il n’en fit jamais une grande dame portant sa fortune avec une certaine hauteur. C’est justement l’originalité de Mme de Pompadour d’être restée toujours, dans cette situation de maîtresse du roi, sinon une grisette, selon le mot piquant de Voltaire, du moins une bourgeoise par les instincts, par les manières, comme elle l’était par la naissance, et c’est ce qui faisait de son élévation une nouveauté. « C’est une éducation à faire, disait Louis XV en galant précepteur, cela m’amusera. »

Elle a beau se guinder, se draper en marquise, se donner des armes et des gentilshommes pour l’accompagner, elle a des retours de goût bourgeois, comme lorsqu’elle imagine pour l’avenir un mariage de sa fille avec un fils naturel de Louis XV, et qu’elle rêve des joies de grand’mère. Elle se plaît dans ces combinaisons. Elle arrange ses amours en ménagère habile et prévoyante. Mme de Mailly, la première maîtresse du roi, était désintéressée, et au lendemain de sa disgrâce elle restait pauvre et endettée. La duchesse de Châteauroux avait de l’élan, du feu, et voulait faire de son amant un roi en le contraignant à s’occuper des affaires de l’état, à aller prendre le commandement des armées. Mme de Pompadour n’a ni ce feu ni ce désintéressement; elle a l’industrie « patiente, adroite et impérieuse » d’une bourgeoise galante et pervertie par la grandeur, qui sait tirer parti de tout, qui commence par assurer sa fortune et celle de ses parens. Quand elle arriva à la cour, elle n’avait rien que sa beauté. Bientôt après elle possédait plus de vingt millions, l’hôtel d’Évreux à Paris, la terre de Crécy, où en quelques années elle dépensait plus de trois millions. Elle vendait les régimens, trafiquait des places, recevait de Dupleix cinq cent mille francs pour un cordon, prétendait disposer de douze fermes-générales. Elle était devenue la grande dispensatrice des dons et des faveurs, et elle commençait par elle-même. C’était une maîtresse de roi bien apanagée, qui considérait les finances de l’état comme les siennes propres, faisant construire ou achetant un peu partout des châteaux, des ermitages. D’autres favorites ont peut--