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vide de son cœur. À son retour, Louise, devenue majeure, peut épouser celui qu’elle aime avec le consentement de son père, car le bonhomme Chrysale aussi s’est mis en révolte ; elle déclare qu’elle ne se mariera jamais sans la permission de sa mère. Celle-ci, satisfaite et vaincue, sent sa farouche volonté se fondre comme un morceau de sucre ; elle autorise tout et devient la plus douce, la plus aimante des mères. À la bonne heure ! Ce personnage, que le jeu de Mme Nathalie nous avait d’abord fait croire jeté en airain, est simplement en carton peint ; il se détrempe et s’en va en bouillie à la première averse. M. L. Laya, qu’on aurait pu prendre pour un sculpteur, reparaît dans son métier de fabricant de poupées.

Le Théâtre-Français et M. Félicien Mallefille, n’ayant pu s’entendre sur les remaniemens à faire à la comédie des Sceptiques, ont peut-être laissé échapper l’un et l’autre l’occasion d’un succès. Les Sceptiques ont trouvé au petit théâtre de Cluny des interprètes dont le zèle ne supplée malheureusement qu’à demi l’insuffisance ; on y reconnaît encore, malgré la faiblesse inévitable de l’interprétation, un effort sincère, plus d’une fois récompensé par le succès, deux actes assez heureusement réussis et une idée première d’une vraie portée philosophique, si elle eût été fécondée par une méditation plus sérieuse. Le sujet de cette comédie n’est point la lutte tragique qui se livre dans l’âme des grands sceptiques, tels que Pascal ou Jouffroy. Celui que l’auteur aborde est une maladie moins privilégiée, mais une des plus graves cependant que l’état moral de la société actuelle puisse offrir au théâtre, c’est le scepticisme pratique qui met en question et qui dissout peu à peu les sentimens sur lesquels la société repose, l’amitié, l’amour, la foi en la parole donnée, la confiance dans l’honnêteté d’autrui. Ce mal revêt plus d’une forme, et l’âme la plus élevée peut en être atteinte lorsque, meurtrie par l’expérience, fatiguée des hommes et de la vie, désabusée des réalités, elle s’arme d’ironie et s’enferme comme en un fort dans le mépris des apparences et dans la solitaire contemplation de l’idéal. En de pareilles âmes, le scepticisme n’est qu’un enthousiasme refoulé ; il a la grandeur triste d’un volcan assoupi qui se rallume encore par intervalles. Il ne garde rien de cette noblesse dans les âmes vulgaires, et n’y est qu’une forme de la corruption et de la frivolité. Il y a des temps où la crainte d’être dupe devient la manie universelle, où, se parant d’une expérience anticipée, les enfans eux-mêmes mettent en doute tous les sentimens vrais, où les femmes, qui devraient être les dernières à entretenir le feu sacré, se font un jeu d’en jeter aux vents les cendres refroidies. Si ce n’était le plus souvent une affectation ridicule, on croirait le monde menacé de la disparition prochaine de ce qu’il faut de poésie pour soutenir l’édifice de la vie réelle. Ces temps sont d’ordinaire ceux des grands scandales politiques, ceux où le droit est foulé aux pieds, où la débauche impudente s’assied sur le trône, où le goût du plaisir et les