Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Afrique du VIIe au XIe siècle, et les indigènes furent refoulés de nouveau dans leurs montagnes. Cette fois encore ils changèrent de nom pour prendre celui de Kabyles, qui est d’origine arabe et que l’usage a maintenu; ils y perdirent aussi leur religion et se laissèrent imposer le mahométisme des conquérans. Plus tard la tradition d’une race autochthone disparut en entier; pour les Turcs, pour les Français, qui leur succédèrent, il n’y eut plus que des Arabes, et cette erreur s’est prolongée jusqu’en ces dernières années.

La nationalité si effacée et néanmoins si vivante des anciens Berbères, c’est à des officiers de l’armée française que revient l’honneur de l’avoir révélée. Les chefs de nos bureaux arabes, initiés aux mœurs et à la langue des tribus, ne tardèrent pas à faire une distinction entre les Arabes cantonnés dans les plaines et les Kabyles réfugiés dans les montagnes. Plus tard, lorsque les progrès de notre domination permirent d’entrer en rapports avec les Touaregs du Sahara, on découvrit non sans surprise que les nomades des déserts de sable étaient aussi les descendans des Berbères, et qu’ils avaient conservé les traditions antiques de la race avec bien plus de soin que les Kabyles du Tell.

Ces peuplades, que les renseignemens les plus sûrs représentent comme les habitans autochthones ou tout au moins comme les plus anciens habitans connus de l’Afrique septentrionale, sont aujourd’hui cantonnées dans les massifs montagneux du Djurdjura, de l’Atlas, de l’Ouarsenis, et dans la région saharienne qui s’étend du Touat et de Ghadamès au Dhioliba. On s’accorde à leur reconnaître plus d’intelligence et de virilité qu’aux Arabes, et cependant ceux-ci les ont dépossédés. Sont-ils appelés à reprendre une existence nouvelle sous la suprématie ferme et bienveillante des Français? Du moins tous les bons esprits à qui les affaires intérieures de notre colonie sont familières conviennent aisément que c’est sur eux et non sur les Arabes que doit se porter notre sollicitude. Les Arabes ne sont que des intrus, et même, comme les Turcs, des intrus assez récens; les Berbères sont les anciens possesseurs du sol et les plus dignes de l’occuper. En attendant que cette question de préférence soit tranchée par la logique des faits ou par la raison d’état, nous leur avons rendu un nom de nation, nous avons restitué leur langue, éclairci leurs curieuses origines. Cet ensemble de travaux historiques sur une race plutôt égarée que perdue comptera au nombre des plus utiles recherches de l’érudition moderne.

Le despotisme militaire et fanatique des Arabes a pesé durant des siècles sur les populations blanches autochthones de l’Afrique septentrionale sans amener de fusion entre l’élément indigène et l’élément conquérant, sans réussir à étouffer les mœurs et le langage