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Puisque j’en suis à mentionner tous les travaux récens publiés en France sur Descartes et son temps, je ne dois pas oublier le beau livre d’Emile Saisset ; Précurseurs et disciples de Descartes, dont la Revue a dans le temps publié les principaux chapitres. Je rappellerai les pages consacrées par M. Cousin, dans le Journal des Savans, à la défense de Descartes contre Leibniz. Enfin l’Histoire de la philosophie moderne, de M. Henri Ritter, traduite par M. Challemel-Lacour, fournit encore un témoignage important à consulter précisément par sa discordance avec toutes les voix admiratives que nous venons de signaler. Nous nous servirons librement de ces documens divers dans l’étude que nous présentons à nos lecteurs sur le caractère et le génie de Descartes.


I.

Nous ne voulons pas suivre ici et reproduire pas à pas la biographie de Descartes. On la trouvera fort détaillée soit dans son premier biographe, Baillet, soit dans l’ouvrage de M. Millet. Nous voudrions seulement recueillir quelques traits de cette physionomie, l’une des plus originales et des plus vivantes de l’histoire de la philosophie.

Un des traits qui frappent le plus dans le caractère de Descartes, c’est sa passion pour les voyages, passion très rare à son époque, surtout parmi les savans. On peut dire que Descartes a vu toute l’Europe (la Russie et la Turquie exceptées). A peine âgé de vingt et un ans, il passe en Hollande, en Bavière, puis en Autriche, en Hongrie, en Bohême, d’où il remonte par la Pologne et la Poméranie jusque sur les bords de la Baltique, qu’il longe jusqu’à l’Elbe. Là il s’embarque pour la Frise, rentre en Hollande par le Zuyderzée, repasse par Bruxelles, et revient à Paris. Il ne reste pas longtemps en France. Le voilà parti pour la Suisse, puis pour l’Italie; il visite Venise et Rome, revient en France pour s’échapper encore et cette fois se fixer définitivement en Hollande. De là il fait un voyage en Angleterre, un autre en Danemark, rêve d’aller jusqu’à Constantinople, et enfin, sollicité par la reine Christine, passe en Suède, où sa poitrine délicate ne peut pas supporter les rigueurs du climat et où il meurt.

On pourrait croire que pendant le séjour assez long qu’il a fait en Hollande Descartes sera resté un peu tranquille. Nullement; sans cesse il changeait de place, et son biographe Baillet, désespérant de pouvoir le suivre pas à pas dans ses continuels changemens de domicile, se contente de nous les énumérer en une seule fois, pour ne pas compliquer l’histoire de ses travaux et de son esprit