par l’histoire de ses déplacemens. « D’Amsterdam, nous dit-il, il alla demeurer en Frise, près de la ville de Franker en 1629, et il revint la même année à Amsterdam, où il passa l’hiver. S’il exécuta le dessein de son voyage en Angleterre, ce fut en 1631, et il revint achever cette année à Amsterdam. On ne sait pas précisément où il passa l’année 1632, mais en 1633 il alla demeurer à Deventer, dans la province d’Over-Yssel. De là il retourna à Amsterdam, où il passa une partie de l’année 1634, durant laquelle il fit quelques tours à La Haye et à Leyde. Il fit ensuite le voyage de Danemark, et il revint à Amsterdam, d’où il fit une retraite de quelques mois à Dort. De là il passa une seconde fois à Deventer en 1635. Il retourna ensuite dans la Frise occidentale, et demeura quelques temps à Leuvarden. Il y passa l’hiver, et il revint ensuite à Amsterdam, où il demeura quelques mois, au bout desquels il passa à Leyde. » Je me lasse de poursuivre la série de ces déplacemens, qui occupent encore dans Baillet toute une longue page, et je me contente de faire observer que, pour un homme qui s’était retiré du monde afin d’être tranquille, il employait un singulier moyen. Il est évident que chez Descartes l’esprit pur était en dehors du temps et de l’espace; mais le corps était toujours en mouvement.
Descartes, faisant lui-même, dans son Discours de la Méthode, sa biographie psychologique et intellectuelle, nous représente ses voyages comme une partie de son entreprise philosophique. Peu satisfait de la science des écoles, il s’était décidé, nous dit-il, « à fermer tous ses livres pour consulter le grand livre du monde. » Je ne doute pas à la vérité que le désir de savoir n’ait été une des raisons qui l’aient conduit ainsi à travers l’Europe dans d’interminables pérégrinations. C’est néanmoins un fait curieux que l’on ne puisse signaler dans sa philosophie aucune trace sensible de cette influence. Cette philosophie est tout abstraite, toute spéculative, tout intérieure. Si l’on ne savait point, par l’ouvrage de Baillet et par la première partie du Discours de la Méthode, que Descartes a vu le monde autant que qui que ce soit, personne ne pourrait le deviner en étudiant sa philosophie. Cette philosophie ne se ressent en aucune manière de ce contact si intime avec la réalité, et elle semble absolument en contradiction avec sa vie. Après avoir tant vu, tant expérimenté, n’est-il pas étrange que la première pensée de notre philosophe ait été que peut-être tout cela n’existe pas? En général, les hommes qui ont beaucoup vu les choses humaines, qui ont eu le goût du spectacle de la vie, ne sont guère disposés à douter de leurs sens et à considérer la réalité extérieure comme une chimère. Ils douteront plus volontiers des idées pures que de leur corps et des choses concrètes : c’est le contraire chez Descartes.