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Une seule goutte d’eau-forte, déposée sur un pétiole, fait rapidement fermer non-seulement les folioles adhérentes, mais les voisines de proche en proche jusqu’aux branches les plus éloignées. Les mêmes effets sont produits par l’ammoniaque, les vapeurs sulfureuses, divers acides, des huiles essentielles et des éthers ; mais parmi toutes ces substances c’est le chlore qui détermine les mouvemens les plus précipités. Il n’est pas jusqu’à la tige et à la racine qui, arrosées de liquides caustiques, ne transmettent aux feuilles la cruelle impression ressentie. Que sera-ce donc, si l’on met ces substances dangereuses en contact immédiat avec les feuilles elles-mêmes ? Les narcotiques les endorment, les paralysent, et les poisons violens, tels que l’arsenic et l’acide prussique, les foudroient presque instantanément.

Cela se comprend encore ; mais ce qui semble bien plus surprenant, c’est l’effet d’influences infiniment plus douces, telles que l’action modérée de la chaleur, de la lumière et de l’électricité. Une mimosée fut un jour recouverte d’une cloche de verre que frappaient les rayons du soleil. Quelques momens après, cette cloche fut soulevée, non brusquement, mais au contraire avec une lenteur étudiée et sans qu’aucune feuille eût subi le moindre attouchement. Précautions vaines, les folioles se fermèrent, les pétioles s’infléchirent, et la plante tout entière, crispée par la fraîcheur de l’air, prit cette attitude douloureuse qui lui est particulière alors qu’elle subit quelque expérience désagréable. Mêmes résultats quand la sensitive est frappée par une lumière trop vive. L’ombre également l’affecte et le moindre choc électrique produit en elle de véritables bouleversemens. Eh bien ! cela n’est rien encore. Ce qui, plus que toute chose, rend difficile l’appréciation des propriétés de ce végétal extraordinaire, c’est ce fait bien constaté que la sensitive s’habitue aux impressions pénibles, aux chocs, aux secousses prolongées, et qu’elle en prend, pour ainsi dire, son parti. On connaît l’histoire de cette mimosée qui, placée dans une voiture, ferma précipitamment ses folioles aux premières secousses, puis les rouvrit lentement pendant la marche, les contracta de nouveau après un arrêt de quelques minutes, et qui de la sorte, épouvantée à chaque nouvel ébranlement, reprenait peu à peu ses sens et finit par se résigner complètement aux désagrémens du voyage. Que peuvent objecter en présence de faits semblables les partisans de la doctrine des causes mécaniques ? Pourquoi donc les effets sont-ils suspendus, puisque ces causes sont persistantes, et comment expliquer, s’il est vrai que les mouvemens de la sensitive sont les résultats d’une subite affluence de sève, que cette affluence cesse de se produire, bien que les trépidations de la voiture se prolongent ? Et