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sur Singapore, l’une des plus merveilleuses créations de l’esprit commercial des Anglais. Jusqu’en 1819, ce petit îlot, perdu à l’extrémité de la péninsule de Malacca, n’était qu’un nid de pirates malais. Après que l’Angleterre eut restitué à la Hollande ses colonies de la Sonde, conquises pendant la réunion à la France, sir Stamford Rallies, ancien gouverneur de Java, acquit cette île au nom de la compagnie des Indes afin d’y établir un entrepôt pour les marchandises recueillies dans l’archipel environnant. Il la paya au sultan de Johore la somme de 60,000 dollars. Aujourd’hui le port est visité par plus de 4,000 navires de tout tonnage, et le chiffre annuel des exportations et importations s’élève à 300 millions de francs. Deux fois par mois les grands bateaux à vapeur de Suez et de l’Inde arrivent pour prendre et amener les voyageurs qui rayonnent de là par d’autres steamers dans tout l’extrême Orient, depuis le Japon jusqu’à l’Australie. L’île, qui n’a que 8 lieues de long sur 5 de large, compte 100,000 habitans, dont 3,000 à peine sont de sang européen. Les différentes races de l’Asie y ont leurs représentans, mais les Chinois sont de beaucoup les plus nombreux. Ils étaient déjà 60,000 en 1861, et le nombre augmente chaque année. Quoique Singapore soit situé sous l’équateur, le climat est sain et la chaleur supportable. Le thermomètre marque ordinairement 29 degrés, et il ne tombe jamais au-dessous de 25. C’est à Singapore qu’on peut bien apprécier les qualités du Chinois. M. von Scherzer, comme la plupart des voyageurs qui visitent l’extrême Orient, croit que ce peuple est appelé à jouer un grand rôle dans cette partie du monde. Il est très intelligent, très actif et très économe. Pour lui, pas de jours de fêtes ou de repos, sauf au renouvellement de l’année. Comme la fourmi, il travaille sans relâche. Il est extrêmement sobre : un peu de riz lui suffit, et même le soleil vertical ne le détourne pas de sa besogne. Des expériences comparatives ont prouvé qu’un maçon ou un terrassier chinois exécute moitié moins de besogne qu’un ouvrier du même métier en Europe ; mais d’abord celui-ci travaillerait moins bien sous les tropiques, et en second lieu son salaire est trois fois plus élevé. Sur le terrain de la libre concurrence dans les pays chauds, les Chinois battront donc toutes les autres races. Plus forts que le reste des Asiatiques, plus sobres que les Européens, ils sont plus laborieux que les uns et que les autres. Déjà dans le royaume de Siam toute l’industrie, tout le commerce, sont entre leurs mains. En Australie, en Californie, on a cru devoir prendre des précautions contre ces redoutables concurrens, qui n’ont pourtant d’autre arme que leur infatigable persévérance. À Singapore, où ils vivent libres sous des lois égales pour tous, on les voit s’élever peu à peu aux premiers rangs de l’échelle