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me l’avez dit et prouvé, vous m’avez répondu de tout, vous m’avez mis le cœur en joie et l’imagination en campagne. Tout à coup le vent tourne, et, non content de me laisser sans défense, voici que vous armez contre moi ?

— C’est mon devoir de magistrat.

— Une arme à deux tranchants, votre magistrature ! Elle vous défendait naguère de m’appuyer, elle vous commande maintenant de me porter bas. Un magistrat, répéter aujourd’hui ce qu’il a dit hier, se donner raison à lui-même1 jamais t les convenances s’y opposent ; mais s’il lui prend fantaisie de se déjuger, de se contredire, de briser ses idoles, de réduire au désespoir ceux qu’il avait enivrés d’espérance, c’est une originalité qui n’a rien d’inconvenant et que certains badauds applaudiront peut-être ! Je veux vous applaudir aussi, monsieur Mainfroi. On ne me refusera pas une stalle au théâtre lorsque je paye les frais de la comédie. Je verrai de quel front vous abjurez vos principes et reniez vos amis. Peut-être aussi saurai-je reconnaître à son air de triomphe celle qui, depuis quatre jours, se glorifie de votre conversion. Malheur à elle !

— Malheur à nous tous, madame, si vous persistez à voir ce qui n’est pas, à méconnaître l’évidence et à vous gendarmer contre des fantômes I Que peut-on dire à qui ne veut rien entendre ? Quelles preuves fournir à qui ferme obstinément les yeux ? Me croirez-vous, si je vous dis que vos intérêts me sont plus chers que les miens, que votre liberté, votre repos et votre bonheur sont le principal objet de ma vie, que je vous aime enfin malgré vous, malgré moi, malgré le mot décourageant dont vous m’avez écrasé tout à l’heure ! »

La vicomtesse de Montbriand se leva, prit un air de superbe dédain et répondit :

« Monsieur Mainfroi, il me reste peu de temps à vivre de la vie de ce monde, puisqu’à la fin de la semaine, grâce à vous, je rentrerai sans doute au couvent. Je désire employer ces derniers jours à ma guise et ne voir que des visages absolument agréables, s’il vous plait. »

Elle accompagna ce congé d’une ample révérence et passa dans sa chambre, laissant Mainfroi maître du terrain, mais éconduit.

Il hésita un moment, et quoiqu’il entendit à travers la porte comme un bruit de sanglots étouffés, il prit son chapeau et se retira.

« Tout va mal, pensait-il ; mais ce n’est pas l’instant de ramer sur le fleuve de Tendre. Il s’agit de combattre l’appel de cette pauvre femme aussi victorieusement que je l’ai défendu, après quoi nous nous occuperons d’elle. »

Le soin qu’il mit à préparer ses conclusions était fort inutile, un seul mot de sa bouche suffisait. Mme de Montbriand, condamnée par son propre avocat, ne pouvait plus trouver grâce devant un