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pas de ces excès de perfection; son entrain, sa jeunesse, font sa force, et d’ailleurs la variété de son programme, incessamment renouvelé et quelquefois aussi renouvelé à la diable, ne lui permet pas tant de recherche. On ne rend si bien que les choses qu’on sait trop. L’Opéra, grâce à l’excellence du système, en est venu à remplir tous les jours sa salle par l’unique attrait du répertoire, et telle est maintenant la confiance du public, qu’il vient sur la simple annonce de l’ouvrage, indistinctement mis en goût par la distribution des rôles, quelle qu’elle soit, et montrant le même empressement pour Mlle Battu que pour Mme Sasse dans l’Africaine. On a gagné cela qu’un nom sur l’affiche en vaut un autre. Point d’étoiles à l’horizon, mais aussi plus rien de ce personnel secondaire, sacrifié, qu’on appelait autrefois des doublures, partout et sur la même ligne des premiers sujets, dont chacun de nous peut diversement apprécier les mérites, mais avec lesquels du moins il sera toujours permis de compter sur une interprétation convenable. La troupe cependant a ses points critiques. Elle attend son ténor. Viendra-t-il enfin? On l’assure. Il ne s’agit point cette fois d’un simple élève, d’un de ces jeunes gens n’apportant avec une belle voix que leur inexpérience : il s’agit d’un talent mûri par le travail, par le succès, et dont l’Amérique s’est beaucoup occupée, ce qui sans doute ne prouve rien en faveur d’un ténor, mais ce qui ne doit pas non plus lui compter pour une mauvaise note. La voix, dit-on, est splendide et d’une étendue à mesurer dans toute sa grandeur le rôle du Prophète. En attendant, Mlle Nilsson, définitivement acquise à l’Opéra, répète le rôle d’Ophélie dans l’Hamlet de M. Thomas. Ce que vaudra le chef-d’œuvre, on le saura plus tard, et nous aimons à supposer que les meilleurs arrangemens sont pris pour faire miroiter toutes les vibrations de ce timbre de cristal. Ni les trilles ne manqueront ni les gammes chromatiques, nous verrons le diamant sous toutes ses faces et ses facettes. Il y aura cascades et cascatelles. C’est M. Faure qui joue Hamlet, Mme Gueymard fait sa mère, la reine Gertrude, et M. Belval l’infâme Clodius. L’ouvrage viendra vers le commencement de mars, c’est-à-dire vers la même époque où fut donné l’an passé le Don Carlos de Verdi, au succès duquel on espère (l’ambition n’est pas bien grande) donner un pendant. Après la partition de M. Thomas, un peu plus tôt, un peu plus tard, selon la circonstance, on entendra l’Armide de Gluck, que l’Opéra étudie et monte à tout événement.

C’eût été bien surprenant si, à propos de cet Hamlet de l’Académie impériale, quelque autre théâtre n’eût pas eu l’heureuse idée de mettre le prince de Danemark sur son affiche. Le théâtre de la Gaîté n’y a point manqué. J’aurais mieux aimé certes que ce fût la Comédie-Française. Malheureusement la maison de Molière a pour principe de ne point fréquenter Shakspeare. Shakspeare est donc venu, à son ordinaire, balayer les planches entre une dernière représentation du Courrier de Lyon et