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héros FortinbrasI Gertrude a sa confidente, qui se nomme Elvire, Hamlet a son confident qui s’appelle Norceste :

L’Angleterre en forfaits trop longtemps fut féconde !
…………
Je fais saisir Hamlet; qu’il aille sans retour
Achever ses destins dans l’ombre d’une tour.

Ophélie ne mourant pas, la scène des fossoyeurs et toutes les a inepties grossières qui s’y débitent, » comme aussi la scène des fleurets, n’a plus de raison d’être. La scène où, dans Shakspeare, Hamlet organise une représentation dramatique se passe en conversation. Le meurtre de Clodius, conformément aux règles de la tragédie classique, a lieu dans la coulisse, quoiqu’une variante discrètement rédigée après coup ouvre la possibilité de montrer le spectacle au public. Le revenant se garde bien d’apparaître aux sentinelles sur la plate-forme du château, Hamlet seul l’aperçoit... en songe! — Tout cela certes est fort ridicule; mais c’est de la tragédie pour ceux qui l’aiment. Qu’il y ait un Hamlet de Ducis comme il y a une Phèdre de Pradon, c’est très simple. Ce que je prétends, c’est que les choses soient ce qu’elles sont. Conçoit-on qu’en France, à cette heure avancée d’un grand siècle littéraire, il n’y ait pas une scène de premier ordre en état de représenter Hamlet du jour au lendemain, comme cela se pratique à Stuttgart, à Weimar, à Düsseldorf, sur les plus modestes théâtres de l’Allemagne? De traduction sérieuse (pour la scène), c’est vrai qu’il n’en existe pas. Alors qu’on la mette au concours. Cette besogne vaudra bien, je suppose, pour les jeunes intelligences tous ces hymnes à la paix, toutes ces cantates qu’on prime et couronne en pure perte. Je reconnais sans hésiter que, la traduction terminée, primée et couronnée par vingt accadémies, le Théâtre-Français trouvera toujours moyen de la renvoyer aux calendes grecques, sous prétexte qu’il est la maison de Corneille, de Molière et de Racine; mais à ce compte le théâtre de la Burg à Vienne, à Berlin le Théâtre-Royal, pourraient dire à leur tour qu’ils sont la maison de Goethe et de Schiller, lesquels en valent bien d’autres. Voyons-nous que cela les empêche de jouer Shakspeare. Est-ce que Goethe n’a point traduit le Mahomet de Voltaire, et Schiller la Phèdre de Racine ? La jeunesse d’aujourd’hui a d’autres appétits que ceux que bénévolement on lui attribue : s’il y a des idiots pour acclamer les turpitudes, il a des foules pour glorifier le génie. Quelle idée la jeunesse peut-elle se faire du théâtre étranger ? Et pourtant croit-on que ce public qui se porte, en masse aux Concerts populaires n’aurait pas pour une œuvre dramatique de Shakspeare ou de Goethe le même enthousiasme qu’il témoigne à Beethoven, à Weber, à Mendelssohn? Est-ce au Théâtre-Lyrique et dans les traductions de M. Gounod qu’il faudra qu’on aille prendre connais-