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presse. Cette haute question constitutionnelle va être soumise à la sixième chambre correctionnelle de Paris. Un certain nombre de journaux sont incriminés, et, comme ils seront défendus par les plus grandes illustrations du barreau français, on va assister à un de ces curieux contrastes que les gouvernemens sensés ou seulement spirituels se gardent bien de susciter. D’un côté, du côté de la défense, sera toute la force et toute la gloire de la profession virile et généreuse appelée à l’interprétation du droit français, et de l’autre côté il y aura un modeste tribunal, investi de ses attributions par la loi, mais composé d’hommes placés encore à un degré inférieur de la hiérarchie judiciaire, et qui n’ont point acquis par la démonstration et l’épreuve publique de la science et du talent du jurisconsulte cette autorité personnelle qui élève et affermit l’autorité de la fonction. Dans les pays où les libertés publiques sont logiquement organisées, les grandes décisions en matière de jurisprudence politique sont prononcées par des juges arrivés aux hautes magistratures par l’éclat de leur carrière de barreau. La magistrature s’y recrute des célébrités du barreau. C’est ce qui donne une figure imposante et une puissance incontestée aux arrêts qui ont été prononcés en Angleterre en matière d’interprétation et de jurisprudence constitutionnelle par les lords chanceliers et les chief-justices et aux États-Unis par les juges suprêmes. Dans ces pays libres, où la grandeur de la justice est en harmonie avec la franchise des institutions, ce sont des avocats illustres comme ceux qui vont défendre les journaux poursuivis, ce seraient les Berryer, les Dufaure, les Jules Favre, qui exerceraient la haute magistrature, et qui fixeraient le droit politique avec une indépendance personnelle manifeste et avec des raisons revêtues de la force de caractères et de talens éprouvés aux yeux de tous. Quoi qu’il en soit, afin de ne nous point laisser surprendre par le commentaire des discussions des chambres dans l’embûche du compte-rendu prohibé, nous devons attendre que la jurisprudence soit réglée par le débat que le gouvernement vient de soulever devant les tribunaux avec une adresse et une opportunité qui nous échappent.

Quels que soient donc les sévérités, les incohérences, les inconvéniens de la nouvelle loi militaire, si dignes d’éloges qu’aient été les défenseurs du nouveau système, ministres et membres de la commission, ou ses critiques et ceux qui ont voulu ou sur certains points pu l’améliorer, tels que MM. Jules Simon, Buffet, Picard, Javal, etc., cette loi, votée peut-être à l’heure où nous écrivons, va exister comme un fait politique qui doit avoir à l’intérieur et au dehors une influence énorme. À l’intérieur, il n’y a pas à le dissimuler, la loi va faire aux populations un sort laborieux ; elle leur imposera de grandes charges ; elle les soumettra surtout à des préoccupations graves. Suivant nous, elle imprimera une grande commotion à l’esprit du pays et au caractère national, et notre