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bréa. Certes, parmi les personnages politiques mis en évidence dans la rénovation de l’Italie, il n’en est pas qui ait été moins suspect de l’ambition du pouvoir que M. le général Ménabréa. Quand un homme soutenu par une considération professionnelle distinguée, et qui n’a pas cherché son influence dans les agitations publiques, consent à prendre la direction du gouvernement au milieu de circonstances militaires graves, il a droit à l’estime et à la sympathie de ses concitoyens. On commence en Italie à rendre cette justice à M. Ménabréa. Des esprits ardens, mais honnêtes, M. Ponza di San-Martino par exemple, le président de la permanente, cette association où se sont réunis tous les ressentimens piémontais excités par la convention du 15 septembre, ont compris qu’il fallait placer l’intérêt urgent du pays au-dessus de la satisfaction de leurs griefs personnels. M. di San-Martino donnera sans doute son appui au ministère ; il va sans dire que les esprits d’élite qui forment la consorteria, frappée si maladroitement par le parti avancé d’une injuste impopularité, soutiendront aussi le cabinet renouvelé du général Ménabréa. L’œuvre de ce cabinet doit porter sur ces trois points : la pacification intérieure, un effort pour le règlement de la situation financière et la bonne administration du pays, et le rétablissement de l’alliance française. L’imprudence du parti d’action deviendrait odieuse, s’il ne comprenait pas la gravité des torts qu’il s’est donnés envers l’intérêt national en provoquant une nouvelle intervention française à Rome. M. Rattazzi fera bien de résister à l’entraînement des ovations qu’on lui a données à Naples. La publication des derniers documens de son administration sera une triste page de l’histoire de sa carrière publique. Ils prouvent que M. Rattazzi a manqué de loyauté dans ses procédés envers la France, qu’il a, au dernier moment, donné des encouragëmens funestes au mouvement des volontaires, qu’il a eu l’intention et n’a pas eu le courage ou l’énergie de devancer l’intervention française en faisant occuper Rome par l’armée italienne. Ces révélations sont affligeantes : on se demande comment on a pu en venir là, par quels précédons secrets de l’alliance franco-italienne un homme d’état a pu se croire fondé à se jouer ainsi de la bonne foi française, et s’est pris au piège de sa ruse en gâtant les affaires de son pays et en contraignant la France à une manifestation douloureuse. Il faut souhaiter que le souvenir de cet épisode de la vie publique de M. Rattazzi soit promptement oublié, et que les ombrages disparaissent vite entre la France et l’Italie. Le cabinet de Florence pourra hâter le rétablissement de la bonne harmonie, s’il s’applique et réussit à l’amélioration efficace de la situation financière. L’Italie eût pu faire face aux besoins de sa trésorerie, si ses ministres n’avaient point été trop souvent troublés par des diversions, des chimères politiques. La France, en couvrant de souscriptions considérables les emprunts italiens, a donné la preuve la plus expressive de sa sympathie