Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’hésitations préliminaires, de défaillances dans l’action et de récriminations après coup qui sont le cortège habituel des coalitions, n’ont échappé à l’œil perspicace de M. de Bourgoing. Si, suivant la parole d’un maître, l’intelligence est la première des qualités de l’historien, rarement cette faculté précieuse a été mise mieux en valeur que dans le chapitre où sont analysés les mobiles divers des coalisés, et où de cette diversité même résulte la part inégale que chacun prit au tirage cahotant de ce char si mal attelé. La persistance de leurs rivalités intestines jusqu’au moment le plus critique de leur action commune n’a jamais peut-être été mise en évidence par des traits plus piquans. Croirait-on par exemple, si M. de Bourgoing ne nous le démontrait par des documens inédits ou peu connus, qu’au jour même où éclataient sur les bords du Rhin ces déclarations de Pilnitz, ces manifestes du duc de Brunswick, qui tombèrent à Paris comme des bombes, la pensée des royaux signataires n’était pas concentrée sur la France, qu’ils mettaient en feu, mais quelque part égarée sur les rives éloignées de la Vistule ? Le second partage de la Pologne, précédé des efforts impuissans de cet infortuné pays pour se donner une constitution régulière, forme dans le livre de M. de Bourgoing non pas seulement un hors-d’œuvre intéressant, mais un des ressorts les plus intimement liés au jeu de l’histoire générale. Le lecteur bien pensant y apprendra pour son édification que, pendant que la Prusse et la Russie annonçaient au monde le dessein généreux de tirer la France de l’anarchie, ils étaient tout occupés à y plonger plus avant de leurs deux mains la malheureuse patrie des Jagellons, afin de trouver dans ces désordres mêmes un prétexte pour enlever à leur victime le dernier lambeau de son indépendance, et il s’étonnera peut-être moins que le génie monarchique (s’il y en a un) qui veille à la sûreté des trônes n’ait pas été plus empressé de récompenser des défenseurs si désintéressés des bons principes.

Une autre école historique regrettera de ne pas trouver dans ce tableau, avec le mérite de la netteté et de la justesse, un peu plus de relief et de couleur. Tous les personnages sont en place, toutes les physionomies ont leur expression véritable ; mais le trait est un peu pâle et demeure comme marqué au crayon. le soupçonne que cet effacement est volontaire et cette réserve systématique chez M. de Bourgoing. Il a un éloignement qui lui fait honneur, mais qu’on peut trouver excessif, pour les ressorts et les moyens d’effet soi-disant pittoresques, dont l’abus, j’en conviens, est assez fréquent de nos jours pour inspirer le dégoût. Il craint les anecdotes familières, les révélations inédites et trop souvent suspectes. Il ne cherche jamais à mettre ses acteurs en scène dans une pose