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épaisses de 2 à 3 centimètres, finement quadrillées et ourlées sur les bords, forment immédiatement un parquet élégant, frais et moelleux, tenant lieu à la fois de lit et de chaise. Chacun s’accroupit sur ces nattes, laissant en dehors ses sandales en paille ou en bois, dont le contact en ternirait la blancheur. Toute la vie de famille se passe autour du chibachi, — brasero rectangulaire bien verni au dehors, bien doublé à l’intérieur, — sur lequel courent des tringles mobiles en fer doux qui sont autant de compartimens pour les besoins divers de la cuisine. A l’intérieur brûle un feu clair de charbon de bois au milieu d’une pyramide de cendres blanchâtres, épurées chaque matin au crible fin. Deux bâtonnets en cuivre, plantés dans la cendre, servent à toutes les manœuvres de tringles et de charbons. Le brasero devient une distraction dans les jours de désœuvrement ; on s’y chauffe l’hiver, on y fait la cuisine ; combien de fois même n’y dessine-t-on pas machinalement des arabesques, tandis que la pensée dort ou vagabonde ! La femme surtout, plus casanière, chargée d’ailleurs du soin exclusif de la maison et du ménage, se plaît à cette existence intime autour du brasero ; l’homme, au Japon comme chez nous, vaque à ses affaires ou court à ses plaisirs. Le long des murs, on voit deux meubles, une commode en bois blanc bardée d’encoignures de métal, mélange d’ébénisterie fine et de serrurerie grossière, avec des secrets pour les petits trésors, — une armoire, démontable comme l’appartement, fermée comme lui par des cloisons mobiles en papier et dans laquelle s’engouffrent les ustensiles de cuisine, la vaisselle, les balais, tout ce qui ferait tache à la netteté du logis. Le compartiment supérieur renferme les grosses couvertures en laine ou en soie et une miniature d’oreiller, pyramide quadrangulaire tronquée, dont la base arrondie a le balancement des chevaux de bois qui servent de jouets aux enfans ; sur la partie supérieure de l’oreiller est fixé un petit coussin recouvert d’un cahier de papier blanc aux feuilles volantes. Les quatre faces, parfaitement ajustées et soigneusement vernies, forment des tiroirs dans lesquels la Japonaise renferme sa bourse et ses clefs, quelquefois des lettres, des reliques ; chaque soir, elle tourne une feuille blanche du livre sur lequel elle pose la nuque plutôt que la tête, de peur de déranger l’édifice énorme de sa coiffure. En dehors de ces meubles indispensables, de la guitare accrochée au mur, on ne trouve guère, s’il y a quelques superfluités, que de petits oiseaux ou quelques potiches de fleurs. Tout le luxe est dans la finesse ou le vernis des boiseries, dans la propreté des nattes ou la fraîcheur des papiers.

Chez la femme non mariée, dans toutes les classes, il semble qu’il y ait un désir inné de coquetterie. La plus petite bourgeoise passe des journées de bonheur à marchander des étoffes ; elle