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conditions d’admissibilité de la noblesse aux états de cette province, dans la pensée de restreindre, en réduisant le nombre de ses membres, la puissance à peu près absolue de cette bruyante cohorte aristocratique au sein de la représentation nationale. Cet édit portait que personne ne serait admis à siéger avant l’âge de vingt-cinq ans accomplis, il interdisait l’entrée des états à quiconque ne prouverait pas au moins cent ans de noblesse non contestée, il confirmait les interdictions antérieures contre toute personne « faisant trafic de marchandise, usant de bourse commune et intéressée dans un commerce autre que le maritime ; » enfin redit rendait les commissaires du roi juges de toutes les difficultés que l’application de ces mesures pouvait soulever.

Ces dispositions provoquèrent un mécontentement général, beaucoup moins à raison des conséquences pratiques qu’elles entraînaient que par la hardiesse avec laquelle le monarque proclamait en face des états le principe de la souveraineté absolue. Réglementer l’organisation intérieure d’une assemblée politique sans la consulter, c’était porter une atteinte flagrante à son indépendance, et le parlement de Bretagne n’hésita point à dénoncer l’édit du 26 juin comme incompatible avec le contrat d’union de 1532. La même opinion fut exprimée avec une chaleur alors inusitée par plusieurs membres de la noblesse dans les états réunis à Rennes au mois de novembre ; mais à peine l’écho de ces débats fut-il arrivé jusqu’à Versailles, que le cardinal de Fleury, irrité qu’il se rencontrât des hommes assez imprudens pour troubler par un peu de bruit la tiède atmosphère de son gouvernement, fit expédier dix lettres de cachet au maréchal d’Estrées, qui ne les avait pas demandées et qu’elles jetèrent dans le plus pénible embarras. Six de ces lettres, prescrivant l’éloignement de la province, étaient adressées aux gentilshommes qui avaient parlé de l’édit avec une liberté, qu’on ne connaissait plus depuis les états de Dinan ; quatre, impliquant la détention dans une prison d’état, allèrent frapper les membres principaux du parlement de Rennes, car c’était surtout à ce grand corps qu’on en voulait au début d’une lutte avec la magistrature dont la périlleuse gravité se laissait déjà pressentir. L’émotion produite par ces actes arbitraires, quoique fort vive, ne rendit pas encore à l’assemblée la vieille indépendance de son langage. C’est en des termes fort réservés que s’exprime sur cet incident le procès-verbal du 20 novembre 1786, où des démarches sont timidement proposées « pour ceux des membres des états et du parlement qui sont absens par ordre du roi. »

Tandis que nul n’osait revendiquer en face de l’arbitraire ministériel le premier de tous les droits, celui de la sécurité personnelle des citoyens, l’imprévoyante cupidité du pouvoir faisait passer aux