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privilégié depuis l’ouverture de l’assemblée et de la perte de temps que cette conduite imposait aux états, exigea l’enregistrement de la lettre au procès-verbal, se fondant sur l’impossibilité de passer sous silence une aussi auguste communication. La noblesse crut voir dans cette insistance l’intention de lui infliger une flétrissure, et les paroles les plus blessantes furent échangées entre les gentilshommes et les délégués des communautés urbaines. M. de Vauréal, tentant en vain le rôle de conciliateur, se vit en butte aux suspicions de la bourgeoisie en même temps qu’aux vives interpellations de la noblesse, et la colère en vint à ce point que, dans une de ces séances du soir où l’on entrait la tête déjà échauffée, l’évêque de Rennes eut son rochet mis en pièces dans une sorte de lutte corps à corps, et prit une fluxion de poitrine, seul résultat de ses efforts désespérés pour dominer la tempête.

Au sein de cette assemblée aussi mobile qu’impressionnable, tout ce feu s’éteignit d’ailleurs aussi vite qu’il s’était allumé. Un ordre de Louis XV, rendu de sa pleine puissance royale, statua, « pour prévenir dans les états de Bretagne les abus résultant de la faculté dangereuse que s’attribuait un des ordres d’arrêter par son inertie toutes les délibérations, qu’à l’avenir les trois ordres seront tenus de donner leur avis sur toutes les affaires sans délai, et qu’aussitôt que l’un des ordres l’aura donné, les deux autres seront obligés de donner aussi le leur dans le délai de vingt-quatre heures[1]. »

Si contestable que pût être le droit du monarque de trancher à lui seul une telle question constitutionnelle, ces dispositions étaient sensées, et chacun commençait à le comprendre. La lassitude était générale, et le moment des plus propices pour sortir par une transaction de ces insolubles difficultés. Dérogeant cette fois à la lettre de ses instructions afin d’en appliquer l’esprit, le duc de Chaulnes consentit à recevoir, pour être transmis au roi, un mémoire dans lequel les états présentaient l’abonnement comme le meilleur moyen d’assurer la rentrée de l’impôt. Après une session agitée, les états se séparèrent, mécontens de la cour, du commandant et probablement d’eux-mêmes. M. de Chaulnes revint à Versailles, heureux d’échanger contre une sinécure le difficile gouvernement de la Bretagne. Il avait réclamé avant de partir et reçu du comte de Saint-Florentin douze lettres de cachet en blanc destinées aux membres des états qui s’étaient fait remarquer par la vivacité de leur opposition et par leur hostilité contre sa personne. Ces lettres furent envoyées en manière de cartes pour prendre congé, et les personnes qu’elles atteignaient allèrent méditer au mont Saint-Michel et au château de Pierre-Encise sur la difficulté d’exercer

  1. Registre des états, séance du 27 octobre 1752.