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concentration des détachemens appelés à se réunir pour commencer l’attaque. L’enlèvement du camp aurait déterminé sans nul doute la destruction complète de l’armée anglaise ; si cette tentative hardie ne fut point accomplie, c’est que le général Bligh, informé par un déserteur d’un projet auquel il s’était refusé à croire, tant il l’estimait téméraire, prit la résolution de décamper durant la nuit, au moment où les dispositions étaient prises pour aborder les retranchemens. On voit donc que, si l’un des chefs a mérité le reproche d’hésitation et de couardise adressé longtemps après cette affaire au duc d’Aiguillon, c’est à coup sûr le général qui, avec des forces supérieures, n’accepta point le combat dans un poste fortifié. Les Anglais ayant quitté Matignon pour effectuer leur embarquement sur la grève de Saint-Cast, une seule chose demeurait possible : gêner cette opération protégée par le feu des vaisseaux qui couvraient la côte de mitraille, et faire payer cher à l’ennemi l’audace d’avoir violé la terre d’Armorique ; 5,000 morts ou prisonniers attestèrent que dans cette lutte tout le monde avait accompli son devoir. La France était si désaccoutumée des succès qu’elle célébra la journée de Saint-Cast comme une victoire éclatante. Avant de subir tous les emportemens de l’inimitié, le duc d’Aiguillon savoura toutes les effusions de la flatterie, et la cour en fit un héros en attendant que ses ennemis en fissent un lâche.

Ce succès demeura sans portée militaire pour la France, et sous le poids de ses malheurs l’abîme financier continua de se creuser devant elle. L’ignorance à peu près générale alors des élémens de l’économie politique conduisit les nombreux contrôleurs-généraux qui se succédèrent à cette époque à des tentatives à peine croyables aujourd’hui ; celles qui s’appliquèrent à la Bretagne ne furent pas des moins curieuses. Sous le coup de ces difficultés toujours croissantes, le gouvernement n’hésita pas à dévorer son fonds pour faire face à ses dépenses courantes. Les états ayant paru abandonner la pensée de l’abonnement pour les vingtièmes, on imagina de leur proposer le rachat d’anciens impôts dont ils demeureraient propriétaires incommutables moyennant une capitalisation au denier vingt versée au trésor de l’état. Indépendamment de la capitation et des vingtièmes, le roi percevait directement en Bretagne certains droits particuliers, tels que ceux du timbre, du contrôle et du domaine, pour une somme annuelle d’environ 2 millions. Ramener ces droits divers à un taux moyen, les aliéner contre le capital et manger ainsi son bien avec son revenu, c’était là une opération devant laquelle auraient hésité de jeunes dissipateurs, mais qui sembla naturelle à MM. de Moras, de Silhouette et Bertin, contrôleurs-généraux, contraints de pourvoir à la fois aux prodigalités