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ques, il invente probablement dans quelques détails une genèse où la fable sert de symbole à la philosophie. On dirait qu’il s’efforce de donner à la théologie métaphysique l’enveloppe d’une religion positive, afin de la rendre plus agréable au peuple, dont il veut instruire l’ignorance ou désarmer les préventions. Dans le traité des Lois, ces trois dispositions, le besoin de décréter souverainement, le retour aux traditions mythologiques, le désir de se faire écouter du public, se réunissent pour constituer un ouvrage confus et singulier où les plus éloquentes leçons de la morale politique et religieuse sont mêlées aux inventions législatives les plus fortement empreintes de cette idée d’une omnipotence philosophique qui peut tout se permettre parce qu’elle parle au nom de la raison absolue.

Rien ne justifie la supposition que semble accueillir M. Grote de quelque événement ignoré qui aurait ému l’âme de Platon au point d’imprimer ce nouveau cours à ses idées. Peut-être n’avait-il pas besoin d’une autre cause de détermination que le spectacle des mœurs de la démocratie athénienne pour qu’épris du saint amour de la vertu idéale il devînt sur ses vieux jours un partisan de l’autorité, et recourût aux formes impérieuses de la législation pour imposer ses idées. De bien grands esprits, las de leur impuissance à maîtriser les choses humaines, ont été sujets comme lui à se rejeter vers les préjugés de tradition et d’autorité, et à trop oublier cette belle parole de Platon lui-même : la vertu est libérale[1].


V.

Nous avons annoncé que la théorie des idées, interprétée et restreinte suivant l’esprit de la philosophie moderne, pouvait être délivrée des objections qui engendrent les principaux doutes. Nous permettra-t-on d’indiquer comment? Ce serait d’ailleurs manquer à Platon que de ne pas dire qu’il a lui-même, en plus d’un passage, donné les moyens de rectifier ce que d’autres pages peuvent contenir d’équivoque ou de trop absolu. Le Sophiste, par exemple, une de ses plus éminentes compositions philosophiques, limite par un sage éclectisme son idéalisme excessif; mais il ne s’agit ici que de notre manière de l’entendre.

Montesquieu a écrit : « Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eût tracé de cercle tous les rayons n’étaient pas égaux[2]. » Rien peut-être de plus élevé ne saurait être écrit.

  1. I. Alcibiade, XXXI.
  2. Esprit des Lois, l. I, c. I.