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Ce qui est plus vrai, c’est qu’il y aurait eu moyen peut-être pour les généraux Autrichiens de racheter l’infériorité de l’armement par des combinaisons de stratégie qui, sur un point et à un moment donnés, leur eussent procuré une supériorité numérique très considérable, et, en assurant la défaite partielle et successive de plusieurs corps ennemis, eussent rendu impraticable la grande opération de guerre préparée par M. Moltke.

Il est impossible aujourd’hui, après l’événement, de nier qu’une chance de ce genre n’ait été offerte par le plan de campagne prussien à l’armée autrichienne. Son malheur est de n’en avoir pas su profiter, d’en avoir fait au contraire une occasion de désastre. Qu’y avait-il à faire en face de deux armées ennemies qui marchaient séparées l’une de l’autre par des espaces considérables avec la pensée d’opérer leur jonction ? Prévenir, à ce qu’il semble, cette jonction en se jetant avec toutes ses forces réunies sur celle de ces deux armées qu’on avait le plus à portée de ses coups, et faire effort pour l’accabler sous le nombre. Au lieu de cela, on en revient aux vieilles pratiques de la pédanterie militaire ; on prétend contenir l’ennemi, on prétend le battre, non où l’occasion s’en présentera, mais au lieu et au jour qu’on a déterminés à l’avance, et, pour atteindre ce but, trois corps de l’armée autrichienne s’en vont séparément et l’un après l’autre se faire écraser par un ennemi à qui chaque journée amenait de nouveaux renforts. Et c’est avec ces corps successivement mutilés, comme ils venaient de l’être par la désastreuse expérience du fusil à aiguille, qu’on ira livrer la gigantesque bataille de Sadowa. Franchement, c’était donner trop beau jeu aux armées du roi Guillaume.

Qu’on nous permette ici quelques lignes de détail sur les deux journées des 27 et 28 juin, où, près de Skalitz, au dire des officiers autrichiens, l’occasion de la victoire fut perdue par leur armée, et le sort de la campagne irrévocablement décidé contre eux. L’armée du prince royal sortait des défilés de la Silésie et entrait en Bohême sur deux colonnes. Celle de droite était arrêtée devant Trautenau par la résistance de Gablenz. Celle de gauche débouchait devant Skalitz par des passages étroits. À ce moment, six corps autrichiens étaient réunis autour de Skalitz et brûlaient de se mesurer avec l’ennemi. Le prince Frédéric-Charles et l’armée prussienne qui arrivait de la Saxe étaient au moins à deux journées de marche, et avaient sur leur route 60,000 Austro-Saxons sous les ordres de Clam-Gallas. Avant que cette autre armée pût venir au secours de celle du prince royal, les forces autrichiennes rassemblées devant Skalitz avaient donc tout le temps de faire au moins une tentative d’ensemble contre la colonne prussienne qui descendait des montagnes de la Silésie. Au moment dont nous