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aux mains de quelques hommes audacieux. Mais qui l’a poussée à cette agglomération ? Qui’ a fait naître au-delà du Rhin la pensée de l’unité ? Croit-on que les habitans des petits états germaniques eussent été si faciles à annexer, qu’ils eussent aussi volontiers échangé leur modeste, mais très heureuse existence, contre les lourdes charges imposées par l’hégémonie prussienne, s’ils n’avaient été dominés par un sentiment profond d’insécurité, un besoin irrésistible de protection ? Depuis le traité de Vienne, ces paisibles populations avaient adopté les maximes pacifiques du roi d’Yvetot et vivaient fort bien sans gloire. D’où leur est venu tout à coup cet empressement à endosser l’uniforme prussien et à subir toutes les exigences de la bureaucratie de Berlin ? Le seul remède aux inquiétudes que nous avons inspirées aux Allemands, et qu’ils nous inspirent à leur tour, consiste-t-il seulement dans de nouveaux et plus redoutables armemens ? Où serait la limite de ce cercle vicieux ? Si, pour répondre à ce que nous croyons exigé par la situation, nous faisons des préparatifs plus apparens que réels, plus menaçans qu’efficaces, ne commettons-nous pas une double erreur ?

Nous n’entendons pas dire par là que les circonstances actuelles ne commandent rien de nouveau à la France ; puisque malheureusement, après quarante ans de paix, la guerre semble être redevenue une des tristes nécessités de notre époque, notre nation ne doit pas être la dernière à s’y préparer, et ses efforts doivent tendre à ce que la durée du fléau, quand il reparaîtra, soit abrégée par tous les moyens d’une action rapide et décisive. Ayons pour cela une armée aussi bien organisée, aussi forte par son armement, aussi prompte et aussi facile à manœuvrer qu’elle pourra l’être. Quelque excellente que soit notre organisation militaire, elle a ses progrès à faire. Le temps marche d’un tel pas aujourd’hui qu’il ne permet à aucune chose de demeurer stationnaire. Convertir nos fusils, mettre nos places fortes à l’abri des coups de la nouvelle artillerie, renforcer notre flottille de manière à joindre le commandement des fleuves à tout ce que nos forces navales nous donnent déjà de puissance dans une guerre continentale, tout cela est sage, opportun, nécessaire. Nous ne manquerons pas certainement d’y ajouter l’organisation du service de guerre sur nos chemins de fer, dont l’admirable réseau, à la fois perpendiculaire et parallèle à nos frontières, est si bien conçu pour les opérations militaires. Sans doute aussi l’attention se portera sur tout ce qui peut rendre notre cavalerie plus efficace et prouver, contre une opinion fort mal à propos répandue, que le rôle de cette arme n’est pas fini dans les grandes guerres ; on verra si, indépendamment des services qu’elle a toujours rendus et qu’elle rendra encore, un nouveau champ d’action