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français et le parti russe, s’étant coalisés, avaient élevé au pouvoir M. Coletti, homme d’une intelligence et d’un caractère estimables, mais à qui manquait la volonté. Il s’était laissé imposer un ancien chef de bandits, Karatasso, comme général en chef de l’armée grecque et adjudant du roi. Karatasso ayant demandé un passe-port pour la Turquie, M. Musurus avait refusé de le viser ; peu de jours après. le roi, rencontrant celui-ci dans un bal, lui avait adressé des paroles que la Turquie prit avec raison pour une insulte. Elle exigea une réparation, rappela son ministre ; des mesures décisives allaient être adoptées, lorsque M. Coletti mourut à propos et fut remplacé par M. Glarakis, qui accorda la réparation demandée. La France, en prenant vivement parti dans cette affaire, avait joué un rôle auquel rien ne l’obligeait et failli s’isoler comme en 1840. Le succès d’Aali lui fit accorder le titre de muchir.

Bientôt une révolution allait mettre la plupart des états civilisés en combustion et marquer pour la politique, l’équilibre des puissances, le courant des idées en Europe, le commencement d’une ère capitale. Ces explosions qui renversent des gouvernemens, inquiètent tous les trônes, menacent jusqu’à l’existence de certains états, ont toujours laissé jusqu’ici la Turquie remarquablement tranquille malgré les élémens de trouble réunis chez elle, et jamais on ne l’a vue recourir à ces répressions désespérées, entrer dans ces coalitions de gouvernemens formées pour parer au danger commun. On la dirait protégée par l’ignorance barbare, par l’indolence des populations qui la composent ou qu’elle domine, contre l’infiltration de ces dangereuses idées d’indépendance, de liberté, de justice, qui suppose un certain mouvement d’esprit et un travail latent de civilisation. Il y a plus, ces conflagrations l’ont trouvée singulièrement optimiste ; celle de 1830 lui parut presque un gage de sécurité future et lui fit rêver un retour à son ancienne grandeur. En 1848, Reschid, qui dès l’année précédente, sous l’inspiration d’Aali, avait essayé d’arriver avec le pape à un règlement direct de la question des catholiques, manifestait le même optimisme, et l’agitation de la Pologne, l’étoile pâlissante de l’Autriche, menacée au dedans et au dehors, lui faisaient entrevoir un brillant avenir. Si quelqu’un s’aperçut qu’un état dût payer pour les autres et que cet état dût être la Turquie, ce ne fut ni Aali ni Reschid. La prévoyance humaine a ses éclipses jusque dans les plus pénétrans.

Une question qui n’était pas nouvelle, soulevée par le contrecoup de ces ébranlemens, allait troubler la sécurité de la Turquie et l’entraîner dans le tourbillon général. On sait quelle était alors la situation des principautés danubiennes entre le protectorat peu commode de la Russie ; et l’impuissante suzeraineté de la Porte.