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La Porte leur avait octroyé, sous le nom de règlement organique, une constitution que des autorités asservies ou vendues à la Russie foulaient aux pieds audacieusement. Des réclamations très vives ayant été portées à Constantinople par un parti considérable de la Moldavie, Reschid avait envoyé dans cette province un commissaire ; mais, presque aussitôt renversé ainsi qu’Aali par une intrigue ourdie au sein même du sérail et dans laquelle la Russie avait la main, il avait été remplacé par un ministère à la dévotion du cabinet russe, qui avait exilé à Brousse les auteurs de ces réclamations, c’est-à-dire les partisans de la Turquie. De nouveaux troubles avaient éclaté néanmoins en Valachie, et les troupes russes s’étaient établies à Jassy. Reschid et Aali, rappelés par la nécessité, envoyèrent en Roumanie Fuad-Effendi. Cette mission inaugure, à vrai dire, la brillante carrière que ce personnage a parcourue depuis. Fuad compte parmi les Turcs en petit nombre qui se flattent de pouvoir citer leur grand-père ; il a ce qu’on appelle une noblesse. Poète lui-même, il est le fils d’un poète célèbre, Izzet Molla, et neveu d’une femme, Leïla Hanym, également connue par son talent. Son père, homme d’esprit, était fort recherché par les plus riches personnages de Stamboul, dont il égayait les fêtes ; il vivait chez eux, dit-on, un peu en parasite, et s’était amassé grâce à leurs munificences une assez grande fortune. En 1828, au moment où la Turquie tout entière était emportée par l’ardeur guerrière de Pertew, ayant osé faire entendre un conseil de prudence, il avait encouru la disgrâce du sultan ; il avait été dépouillé de ses biens et condamné à l’exil, ou il mourut. Fuad, après une éducation première exceptionnelle, avait étudié la médecine à l’école récemment fondée de Galata-Seraï, et, au retour de l’expédition contre la régence de Tripoli, dont il avait fait partie comme médecin de l’amirauté, en 1834, il était entré au bureau de traduction. Pour un jeune homme intelligent, curieux, impatient de se donner par l’étude des langues, de l’histoire, du droit, de l’économie politique, une instruction à l’européenne, c’était un acheminement vers la carrière diplomatique, et en effet, après avoir été premier secrétaire d’ambassade à Londres et avoir aidé au succès de la diplomatie turque à une époque où la faveur des puissances occidentales balançait entre la Porte et son vassal Méhémet-Ali, il fut chargé en 1843 d’aller complimenter les reines d’Espagne et de Portugal. C’est alors qu’il se fit cette réputation d’élégance, d’esprit de galanterie et d’enjouement qu’il a gardée ; on s’étonna de voir, chose nouvelle alors, un jeune Turc qui n’avait rien des préjugés de sa nation ni de la gravité musulmane. Son succès fut si grand qu’un très haut personnage lui aurait, à ce qu’il paraît, confié, lors de son passage à Paris, une