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détriment de sa production coloniale et de son propre entrepôt en Europe.

Il est rare que l’on puisse allier sans froissemens une demi-liberté à un monopole. Les abus s’infiltrèrent rapidement dans les brèches faites à cet édifice si complet du système de culture. Le gouvernement hollandais restait bien en effet le cultivateur exclusif de Java, mais la Hollande n’en était plus le marché unique. Toutes les anciennes lois se trouvèrent donc d’une application difficile, en contradiction même avec les intentions du législateur, qui avait cherché à concilier les intérêts si opposés de la colonie et de la métropole. D’un autre côté, la Hollande tient à la rente qu’elle tire de l’île, à ces 40 millions payés chèrement, si l’on veut, mais qui l’aident en Europe dans ses travaux et maintiennent ses impôts à un taux relativement peu élevé. Elle ne consacre donc à l’entretien des routes et des ports de Java que des sommes insuffisantes pour accomplir les améliorations impérieusement demandées par les progrès commerciaux. Les chemins de fer sont encore à l’état rudimentaire ; les denrées se transportent de l’intérieur à la mer à des prix onéreux, et souvent les communications, interrompues par la saison pluvieuse, déterminent des famines factices dans certains districts, tandis que d’autres regorgent de riz.

L’antagonisme entre la colonie et la mère-patrie est donc bien établi. Deux camps sont en présence, deux théories se disputent ardemment le terrain, et les chambres de Hollande se trouvent elles-mêmes divisées en deux partis : les libéraux, qui veulent l’abolition plus ou moins radicale du système, le retour à l’initiative individuelle, à la liberté d’achat ou de vente des terres, et les conservateurs, qui cherchent à garder, en l’atténuant, si cela est possible, un régime si productif pour l’état et qu’une expérience de près de quarante ans a consacré. La majorité parlementaire des états-généraux de La Haye est libérale. Le gouvernement, trop constitutionnel pour résister longtemps au vœu de la nation, a cependant dissous une fois la chambre. Le pays lui a renvoyé une majorité plus compacte encore, et les ministères qui se succèdent cherchent un expédient qui rende la transition moins brusque, moins préjudiciable à l’équilibre du budget de la Hollande. En principe, on peut affirmer que l’œuvre inaugurée en 1832 par le général van den Bosch est condamnée, et que la grande colonie de Java entrera bientôt, après deux siècles et demi d’existence, dans la période douloureuse d’une réorganisation complète.

Il est évident que l’état compensera promptement les déficits causés momentanément par le changement d’assiette des impôts. Ses revenus seront plus indirects, mais croîtront certainement en