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pour ainsi dire que les mêmes faits se transformant sans cesse selon les conditions dans lesquelles ils se trouvent, ce renouvellement des milieux les place précisément dans le cas où un phénomène physique est placé par les expérimentateurs, et il donne à l’analyse historique toute la solidité d’une méthode expérimentale. Quant aux faits présens, il est plus facile encore de les analyser et de les comparer entre eux : la connaissance qu’on en peut acquérir sert de point de départ à toute la série du passé. Toutefois, comme les faits religieux d’aujourd’hui sont les conséquences nécessaires de ceux d’hier, lesquels forment avec ceux qui les ont précédés un enchaînement non interrompu, les ténèbres qui couvrent les rituels, le symbolisme et même à beaucoup d’égards les dogmes présens ne se dissipent qu’à mesure qu’on remonte vers les formes antérieures et qu’on approche de l’origine. Voilà pourquoi nous avons beaucoup appris et nous pouvons espérer plus encore des études orientales ; c’est la connaissance approfondie et toute récente de l’Orient qui nous fait pénétrer jusqu’aux origines des choses.

La linguistique est venue apporter à la méthode historique un appoint d’une utilité incontestable. Les noms et les termes usités dans les religions n’ont en effet aujourd’hui presque aucune signification étymologique dans les langues qui les emploient. Une personne qui ne sait pas le latin et un peu de grec ne comprend rien à la plupart des mots en usage dans le culte romain. Parmi ces mots, il n’en est presque pas qui viennent de l’hébreu, et pourtant il y en a un certain nombre qui ne sont ni grecs ni latins. D’où viennent-ils ? — Les termes sacrés usités chez les Latins et les Grecs de l’antiquité sont presque tous dans le même cas : les noms des divinités grecques ne sont pas grecs, les noms des divinités latines ne sont pas latins. Il faut donc en chercher ailleurs l’étymologie. S’il ne s’agissait ici que d’une simple curiosité, on abandonnerait volontiers ces recherches aux loisirs de l’érudition ; mais elles ont pris dans ces derniers temps une portée beaucoup plus grande. Ces mots en effet représentent des choses et des idées. Si ces idées et ces choses : eussent été des productions spontanées des peuples chez qui elles se trouvent, ces peuples n’eussent pas été chercher au loin des termes pour les exprimer : ils l’eussent fait d’autant moins que les langues anciennes avaient une facilité merveilleuse pour créer des mots nouveaux. Les mots sont donc venus avec les choses et avec les idées qu’ils représentaient. D’où sont-ils venus ? Quand on songe que pour l’antiquité ces mots d’origine étrangère composent presque tout le domaine de la langue sacrée, on conçoit quelles lumières une linguistique prudemment et méthodiquement pratiquée peut jeter sur les origines des religions. Or les voies par