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lesquelles la force de la méthode l’a conduite aboutissent comme les recherches historiques à l’Asie centrale et au Vêda. C’est donc en cette contrée et dans ce livre que l’on doit principalement chercher les commencemens des rites, des symboles et des doctrines. Toutefois, si là même les termes sacrés se trouvaient être comme ailleurs étrangers à la langue commune, il est évident qu’il faudrait pousser la recherche plus loin et que la marche de la linguistique vers le passé n’aurait encore atteint qu’une étape reculée ; mais il n’en est rien : ici les mots portent leur signification avec eux, les symboles sont expliqués, et l’on assiste à la naissance des rites et des doctrines. Il est donc impossible qu’une grande lumière ne sorte pas de l’étude des hymnes du Vêda pris comme centre de toutes les recherches relatives à l’histoire des religions.

Mais la linguistique et l’histoire appliquée aux choses religieuses, c’est-à-dire l’archéologie sacrée, sont des méthodes anatomiques, méthodes d’analyse et tout au plus de comparaison. Ainsi l’analyse philologique se préoccupe beaucoup des formes et très peu de la signification des mots. L’on voit en effet la signification des mots non-seulement changer avec la forme, mais de plus varier d’une époque à l’autre sans que la forme ait changé : le mot charmant, par exemple, n’a pas aujourd’hui la signification qu’il avait sous Louis XIII et même sous Louis XIV, et cela est vrai pour un grand nombre de mots. La littérature se préoccupe de ces changemens qui ont lieu surtout dans les idées ; la linguistique au contraire cherche d’où est venu le mot charmant, qui est une forme dérivée de charmer, lequel vient lui-même de charme ; or charme vient lettre pour lettre du latin carmen en vertu des lois parfaitement définies auxquelles la langue latine a été soumise quand elle est devenue le français. La même méthode d’analyse comparative s’appliquera au latin carmen, et l’on ne s’arrêtera que quand on aura retrouvé les premiers élémens, les monosyllabes primordiaux dont la réunion et les transformations successives ont engendré carmen. C’est là une science purement morphologique, tout à fait semblable à l’anatomie comparée des animaux et à la morphologie végétale. Il en est de même de l’archéologie et de l’histoire religieuse proprement dite : elles exposent les phases successives par lesquelles ont passé les rites, les symboles et même les doctrines, et, remontant vers le passé, nous montrent enfin les formes et les formules qui ont revêtu ces trois choses dans les plus anciens temps.

Les religions sont des organismes vivans. S’il en était autrement, il faudrait admettre sans restriction la célèbre formule nomina numina, regarder les conceptions religieuses comme des formes vides et les mythes comme des jeux de mots. Il deviendrait