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effet remarquera que le beurre du sacrifice et le sôma représentent ici toute la nature animée, car chez les Aryas de l’Asie centrale la vache était prise par excellence pour le type et le représentant des animaux, son lait pour le type des alimens, la crème pour la partie excellente du lait, le beurre pour la partie la plus pure de la crème, et le beurre fondu ou clarifié pour l’essence même du beurre ; répandu sur le foyer enflammé, il s’y consume entièrement et ne laisse après lui aucun résidu ; il est donc la matière animale la plus combustible, celle qui peut le mieux servir d’aliment au feu et en manifester l’énergie, c’est le feu lui-même prenant un corps et s’alimentant de sa propre substance. Le sôma, remplacé en Occident par le vin et dans le nord par la bière, jouait le même rôle parmi les matières végétales. C’est une liqueur alcoolique ; le suc de l’asclépias acide, fermenté pendant trois jours, se changeait en un liquide spiritueux qui, répandu sur le feu, en faisait jaillir des flammes resplendissantes. Bu par les hommes, il leur procurait cette chaleur interne qui accroît l’énergie et enflamme le courage. Le sôma fut donc aisément adopté comme le type végétal des alimens liquides et des matières combustibles, c’est-à-dire comme un parfait réceptacle du feu et un profond symbole de la vie. Depuis les époques les plus anciennes, le feu n’a plus cessé d’être allumé sur les autels et d’y présenter aux yeux l’image de la vie et de la pensée. Dans les temps primordiaux et même encore dans beaucoup d’hymnes du Vêda, le feu ne jouait pas toujours un rôle symbolique ; mais, à mesure que la religion devint plus spirituelle, ce rôle s’accrut. Chez nous, le feu qui brûle sur les autels et qui se renouvelle chaque année au temps de Pâques, le cierge, le vin, l’huile de certaines cérémonies, ne sont que les symboles d’une métaphysique profonde plus ou moins bien interprétée par les docteurs, et dont les formules invariables sont conservées dans les rituels.

Le fait, aisé à constater, que chaque fonction inférieure du feu devint le symbole de sa fonction supérieure est d’une extrême importance pour l’histoire des religions et pour l’appréciation de leur efficacité. L’homme n’a guère d’action sur la vie que par le moyen de la chaleur et des sources qui l’alimentent, choses dont il dispose à son gré ; mais il ne parvient à les faire agir pour le bien de la vie qu’en s’appliquant à les connaître et à découvrir les lois auxquelles la vie elle-même est soumise. Ainsi la supériorité appartient toujours aux hommes chez qui la force métaphysique de l’intelligence est la plus pénétrante et la plus productive. Ceux-ci devenaient donc nécessairement les premiers dans les sociétés religieuses au temps où la science ne s’était pas encore sécularisée. Les autres ne concevaient que les rôles inférieurs du principe igné,