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nouveaux d’investigation. Par ses travaux relatifs à la mécanique appliquée, il a été l’un des promoteurs de ce grand mouvement industriel par lequel la France a pris place au premier rang des nations productrices. Caractère antique, officier et administrateur scrupuleux, honnête homme dans la force du terme, il laisse après lui un grand exemple.

Jean-Victor Poncelet naquit à Metz le 1er juillet 1788. Son père était membre du parlement de cette ville. L’enfant fut élevé à la campagne, et ses premières années se passèrent à courir dans les montagnes avec une troupe de camarades qui reconnaissaient en lui leur chef et le suivaient dans une foule d’excursions téméraires. Telle fut la vie du jeune Poncelet jusqu’au jour où un volume de Racine tomba entre ses mains. Il l’apprit par cœur, puis, ayant fait connaissance avec Corneille, Boileau, Molière, il passait des journées entières à déclamer dans les bois des tirades poétiques. En même temps s’éveilla en lui une irrésistible soif d’apprendre. Sous ce rapport, l’éducation du jeune homme avait été étrangement négligée ; il fit des efforts inouïs ; pour regagner le temps perdu pendant qu’il suivait à Metz les cours d’une école primaire. Il avait dressé son chien à venir l’éveiller avant le jour, et souvent, quand l’intelligent animal pénétrait dans sa chambre, il le trouvait endormi devant sa table de travail, où le sommeil avait fini par triompher de sa bonne volonté. Bientôt il fut assez avancé pour entrer au lycée de Metz, où il remporta tous les prix, et qu’il quitta en 1807 pour se présenter à l’École polytechnique. Il avait achevé ses classes en deux ans ; mais sa constitution ne résista point à de tête efforts. Une fièvre violente qui se déclara lorsqu’il eut passé ses examens donna de graves inquiétudes à ses parens, et nécessita un nouveau séjour de plusieurs mois à la campagne où il avait été élevé ; Une anecdote qui date de cette époque montrera la curiosité qui obsédait ce jeune esprit. Il avait amassé, grâce à de longues économies, la somme bien modique de sept francs ; elle lui servit à acheter une montre en argent, mais ce ne fut pas pour la porter, ce fut pour la démonter et pour en étudier le mécanisme intérieur. Poncelet resta jusqu’en 1810 à l’École polytechnique ; il y composa des notes de géométrie qui furent imprimées et dans lesquelles se remarque déjà une certaine originalité annonçant un esprit délié et dédaigneux des sentiers battus. A côté de ces occupations réputées arides, il ne délaissa pas la poésie ; il fit des vers, mais en cachette, depuis qu’il s’était attiré une ovation de ses camarades qui alarma sa modestie. Après avoir passé deux ans à l’école d’application de Metz comme élève sous-lieutenant du génie, il fut employé en 1812 aux travaux de fortification de Ramekens, dans l’île de Walcheren. Il y débuta par un tour de force : n’ayant ni le temps ni les matériaux nécessaires pour établir des fondations, il n’en réussit pas moins à asseoir solidement un fort casemate sur une couche de tourbe qui avait déjà englouti d’autres ouvrages.