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Crampton, ou d’après le système Engerth pour les convois de marchandises, elles sont irréprochables au triple point de vue de la rapidité, de la puissance et de la sûreté de manœuvre ; mais, si parfaites qu’elles soient, elles présentent, un grave inconvénient, car elles sont découvertes et laissent le mécanicien exposé à la pluie, à la grêle, à la neige, à un courant d’air dont la force égale au moins la vitesse de la marche. Depuis quelque temps, on a adopté les lunettes qui du moins garantissent du jet de face ; mais les côtés sont libres et il n’y a pas de plafond, de sorte que l’amélioration, à peine sensible pendant le beau temps, devient illusoire pendant les bourrasques. En Allemagne, en Belgique, en Hollande et dans d’autres pays, les mécaniciens sont garantis par une sorte de capote de cabriolet retournée, armée de quatre larges œillères qui permettent de découvrir la voie en face et latéralement. De cette façon, ils sont abrités contre les intempéries, contre le froid, contre la neige aveuglante, contre la pluie fouaillée, qui abrutit à ce point qu’un mécanicien à qui l’on demandait pourquoi un jour d’orage il n’avait pas obéi à un signal a pu répondre, avec véracité : Je l’ai vu trop tard ! L’objection formulée par les ingénieurs contre une amélioration que réclame l’humanité la moins exigeante est très nette : si nous abritons nos mécaniciens, disent-ils, ils dormiront ! Cela est possible, et je n’ai point compétence pour décider la question. La chaleur émanant du foyer incandescent, condensée sous la capote que ne balaierait aucun courant d’air, serait peut-être plus intolérable encore que le froid et l’humidité. Pourtant dans les momens de tourmente, quand les mécaniciens sont entourés par une véritable tempête qui souffle contre eux avec une force irrésistible, il n’est pas rare de les voir s’endormir debout, appuyés sur les plats-bords de la locomotive, oscillans et comme anéantis par la trombe qui les entoure. Ce métier est très pénible, non-seulement par la responsabilité qu’il entraîne, mais par les souffrances qu’il contraint à endurer ; toutefois l’homme est un animal si admirablement doué qu’il se fait assez vite à ce rude labeur. Au bout de quinze jours ou de trois semaines d’exercice, on n’y pense plus guère. Ces hommes du reste, hommes de courage, de prévoyance et de résolution, sont bien payés ; en dehors des primes qu’ils obtiennent facilement en ménageant le combustible tout en arrivant aux heures réglementaires, ils gagnent environ 10 francs par jour ; mais ce dur métier épuise vite leurs forces, qu’ils sont obligés de réparer par une nourriture très substantielle, et l’on peut croire qu’ils ne font pas beaucoup d’économies.

Tout mécanicien, tout chauffeur est pourvu d’un livret de dimensions calculées pour entrer facilement dans une poche, imprimé en gros caractères et divisé en trois chapitres comprenant les