Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attributions et la responsabilité, les mesures de sûreté, les mesures d’ordre. Dans ce petit livre, composé d’une centaine de pages et qui est un modèle de clarté, le mécanicien trouve non-seulement les prescriptions qui fixent d’une façon absolue toutes les précautions, tous les soins qui doivent assurer sa route, mais encore l’indication des mesures à prendre pour chaque circonstance exceptionnelle qui peut se présenter devant lui ; s’il sait son livret par cœur, il est à l’abri de tout accident qui n’est pas produit par un méchant hasard. Ce qui frappe le plus quand on étudie consciencieusement et sans parti-pris les chemins de fer, c’est l’extrême prévoyance des chefs de service, qui, à force de réflexion, de travail et de combinaisons ingénieuses, sont parvenus à se rendre maîtres de toutes les conjectures possibles et à annuler presque les chances mauvaises qui menacent toujours une semblable exploitation.

L’intelligence pratique des mécaniciens assure la stricte exécution des règlemens. Tout, pour ces hommes dont les sens sont parvenus à un degré d’acuité extraordinaire, est un indice et un renseignement. La nuit et les yeux bandés, sur une route dont ils ont l’habitude, ils sauront précisément où ils sont. A l’air plus frais qui frappe leur visage, ils pressentent l’approche des vallées ; par le bruit plus strident et pour ainsi dire multiplié du train en marche, ils sont prévenus qu’ils passent entre des remblais ; une fade odeur de moisi leur annonce le voisinage des tunnels ; le parfum humide et pénétrant des bois endormis leur apprend que la forêt est auprès d’eux ; quand le train glisse presque sans rumeur, c’est qu’on descend une pente ; si au contraire il peine comme un homme chargé d’un fardeau trop lourd, c’est qu’on gravit une rampe ; les oscillations de la machine leur indiquent une voie fatiguée et qui a besoin de réparations. Semblables à ces chefs de caravane qui, dans un désert toujours semblable, sous la morne immensité du ciel obscur, savent distinguer à des signes invisibles pour d’autres le lieu qu’ils traversent, les mécaniciens paraissent doués de sens spéciaux qui leur permettent en toute conjoncture de reconnaître avec certitude chaque point de leur parcours et de manœuvrer en conséquence.

Lorsqu’un convoi est composé de quinze voitures au moins, il est accompagné par trois agens qui sont : le chef de train, le conducteur, le conducteur d’arrière. Ils doivent se tenir pendant le trajet chacun dans une loge vitrée placée au sommet d’un wagon, ayant les freins sous la main et pouvant d’un seul coup d’œil embrasser la voie entière. Ces hommes-là sont aussi porteurs d’un livret spécial, qui renferme leurs instructions et les met à même de pourvoir à tous les cas accidentels. L’article 38 de ce règlement contient les recommandations relatives aux rapports des conducteurs avec les voyageurs ; la citation du premier, paragraphe montrera dans