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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/207

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devancer Théodore et délivrer les captifs avant que le négus et sa lourde armée, harcelés par les deux Gobhesié et par les Gallas insurgés, eussent seulement atteint le Bachilo. La réalité ne répond guère à ces espérances. Je crois volontiers que toute l’Abyssinie a aujourd’hui le négus en médiocre sympathie, et que cette terre, inondée d’un sang gratuitement versé, aspire à rejeter de son sein le tyran qui la sauva jadis et l’opprime aujourd’hui ; mais il n’en est pas moins vrai que les insurgés les plus hardis n’osent lui tenir tête, qu’il continue à parcourir librement l’Abyssinie du Godjam au Semen, et que l’étrange fascination qu’il exerce est aussi forte que jamais. Il y a quelques semaines, sa situation pouvait sembler désespérée. Il campait au Beghemder, non loin du Wadela, province jadis affectionnée, mais qu’il venait d’irriter par une exécution odieuse, le massacre de près de 700 hommes du contingent de Wadela, soupçonnés probablement de méditer une désertion. Il avait sur sa droite le waagchum et sa grosse armée, formée de montagnards du Waag et du Lasta, connus par leur solidité au feu. Les populations de Daont, de Talanta, de l’Amba-Ghechen, non moins guerrières, s’étaient ralliées au waagchum et coupaient la route de Magdala, tandis que les environs mêmes de la forteresse étaient au pouvoir des Gallas, commandés par une reine belliqueuse, Oïzoro Oarkèt, célèbre en Abyssinie. Elle avait envoyé son fils en otage au camp de Théodore comme garantie de sa soumission. Le jeune prince avait pour compagnon dans cette demi-captivité le petit-fils de Sablé-Salassié, Menilek, prince héritier du royaume de Choa, que le négus avait adopté dans des vues toutes politiques, et qu’il destinait à devenir son gendre. Menilek, moins flatté de cette alliance que sensible aux traditions de sa famille, n’avait pas plus tôt appris la révolte de plusieurs nobles du Choa contre le négus, qu’il s’était échappé pour se mettre à leur tête. Comme il traversait le pays des Gallas, la reine, ignorant peut-être sa scission avec le négus, lui avait accordé l’hospitalité. Cette courtoisie coûta cher à la malheureuse souveraine : Théodore, apprenant qu’elle avait fait bon accueil à un rebelle, fit lancer au fond d’un précipice son fils et tous les otages gallas qu’il avait en son pouvoir. C’est à la suite de ce meurtre que la mère désespérée avait repris les armes.

La meilleure protection de Théodore contre ses ennemis est le peu d’entente qui règne entre eux. Sur ces entrefaites, le waagchum provoqua une révolution chez les Gallas, et remplaça par une nouvelle reine la vaillante Oïzoro Oarkèt, l’ennemie mortelle du négus. Suivi de son alliée, le waagchum menaça un instant Magdala, puis, sur un simple bruit de l’approche de Théodore, il repassa précipitamment le Takazzé. Menilek, avec plus de 40,000 hommes de troupes, ne fit guère mieux. Il commença par rendre le trône